❝ Ne cesse pas de trembler
C'est comme ça que je te reconnais
Même s'il vaut beaucoup mieux pour toi
Que tu trembles un peu moins que moi. ❞

Ils ne voient rien. Ils ne comprennent rien. Ils ne connaissent rien de la vie. Et ils s’en moquent. Ils n’ont pas besoin de connaître quoi que ce soit. Ils sont tranquilles, protégés par leurs faux semblants et la civilisation. Moi je n’ai besoin de rien ni personne pour me protéger. Je suis au-delà de tout ça. Au-delà des apparences. Au-delà du monde. Je n’ai pas besoin d’eux mais étrangement, ce sont eux qui me permettent de subsister. C’est grâce à leur fric qu’ils me donnent comme ils le feraient avec une pute. C’est vrai, je ne suis rien de plus que cela à leurs yeux. Un simple corps agréable à reluquer. Une poupée barbie qui les fait bander. Au fond je m’en fous. C’est parfait, ça leur convient et ça me convient aussi. Qu’est-ce que ça m’apporterait qu’ils me voient telle que je suis vraiment ? Il vaut mieux qu’ils s’arrêtent à Leeni. La fille insensible. Celle qui se fout d’être juste bonne à déshabiller. Celle qui ne ressent rien. Celle pour qui la vie n’a rien d’important. Celle qui sait ce qu’elle veut et qui fera tout pour l’obtenir. J’aime bien Leeni. J’aime son assurance et sa détermination, son courage à elle qui n’a peur de rien. Mais au fond, elle n’existe pas. Je n’existe pas. Je ne suis plus l’innocente petite Maja, mais je ne suis pas Leeni non plus. Est-ce que ça veut dire que je ne suis plus personne ? La nuit se resserre autour de moi et j’accélère.

La nuit. L’obscurité. L’absence. La fin de la lumière. La fin, tout simplement. Pareil à un trou noir, un abîme profond. L’abysse. L’inconnu. La peur. Une série de sensations me traverse l’esprit et je tente vainement de m’en séparer. J’ai l’impression qu’il y a constamment quelqu’un sur mes traces. Je me retourne brusquement. Personne. Je dois être folle. En train de perdre l’esprit sans doute. Un psychiatre dirait sans doute que ce n’est pas étonnant avec tout ce que j’ai vécu. Cela ne m’étonne pas non plus. J’ai toujours été légèrement paranoïaque. Surtout après la mort de Eero et celle de mon père. Quand je suis arrivée en France, j’étais persuadée qu’on me remarquerait tout de suite avec mon accent de l’est et mon incapacité à dire deux mots de français. L’Angleterre aurait peut-être été plus pratique. Mais finalement, personne n’a cherché à me coincer et j’ai évité les questions qui m’embarrassaient. J’ai menti. Je me suis forgée une identité inventée de toute pièce. Mais cela ne m’a pas empêché de toujours me retourner sur mon passage, d’avoir l’impression constante que quelqu’un allait apparaître derrière moi, me traiter d’imposteur et exposer la vérité au grand jour. Et puis le temps a diminué ce sentiment et l’a fait disparaître. Aujourd’hui il ressurgit sans raison. Je resserre mes bras autour de moi. Clairement, je deviens folle. Cela ne fait aucun doute. Encore une fois, je sombre. La nuit me parait plus noire que jamais. J’entends des pas derrière moi. Je ne peux pas les inventer, c’est idiot. Pourquoi aurais-je des hallucinations maintenant ? Je continue mon chemin d’un pas un peu plus assuré. Je ne suis pas n’importe qui. Je suis Leeni. Je n’ai peur de rien. Je n’ai pas à avoir peur de quoi que ce soit. Il faut que j’en aie le cœur net. J’accélère et quand j’arrive au détour d’une rue, je tourne et je me plaque contre un mur, de sorte que mon mystérieux poursuiveur ne me voit pas. Il voudra me suivre, il va tourner. Et en effet, voilà que je me retrouve nez à nez avec un grand garçon, mince, des cheveux bruns ou noirs. Il a l’air un peu étonné de se retrouver ainsi face à moi. Je le détaille de mon regard inquisiteur avant de planter mes yeux dans les siens. « Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi est-ce que tu me suis ? »