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| Sujet: Soléanne ∆ - tu as la capacité émotionnelle d’une petite cuillère. Lun 31 Oct - 18:30 | |
| « il était une fois... Moi » « Je vous en prie, asseyez-vous Mlle Carter. » Bon dieu, qu’est-ce que je fous là. C’est pas moi la malade, j’ai pas besoin d’aide. Mon frère avait longuement insisté pour que je vois un psy, puisque je devais être perturbé par toute cette histoire. C’était un peu tard pour s’inquiéter de mon état, ça fait près de six mois que je vis ça. Ma mère est malade, elle a une tumeur au cerveau. Bien sûr, elle est située là où y’a sa mémoire et tout, du coup elle perd la boule, elle oublie une fois sur deux qui je suis, ou me prend pour une collègue que je ne connais pas. Des fois elle pète des câbles aussi, les médecins n’ont pas réussi à enlever la tumeur, du coup ils cherchent un autre moyen. Elle risque de mourir d’un moment ou l’autre, ils devront peut-être l’opérer à nouveau, mais y’a un risque qu’elle ne survive pas. En gros soit elle meurt, soit elle meurt peut être. Je crois que je le vis pas trop mal, enfin on fait avec. « Oh pitié, c’est Soléanne, pas Mlle Carter je le répète à chaque fois. » Ca faisait trois fois que je voyais ce psy, mais elle ne retenait même pas mon prénom, alors comment pouvait-elle me demander de raconter ma vie après. Je m’asseyais tout de même dans le siège qu’elle me désignait. Je pensais que ça serait comme dans les films au début, qu’elle aurait des lunettes, qu’elle serait vieille que je serais allongée dans un long sofa en cuir et que je raconterais ma lamentable vie en pleurant. Sauf que je n’avais le droit qu’à un misérable siège qui s’approchait plus de la chaise que du canapé, je n’avais pour le moment rien raconté, et elle ne portait pas de lunette, elle était simplement vieille. Elle prit son carnet où elle s’apprêtait à prendre des notes comme à chaque fois et comme à chaque fois elle le refermerait sans n’avoir écrit une ligne. « Parlez-moi de votre enfance. » J’ai crus qu’elle me demanderait jamais, maintenant j’suis foutue je vais devoir tout raconter, de ma naissance à aujourd’hui. De toute façon y’a pas grand-chose à raconter, si je raconte tous aujourd’hui je serais surement tranquille, peut être que c’est ma dernière séance en fait. Elle me fixe avec insistance, comme si j’allais lui raconter l’histoire du siècle. « J’ai eu une enfance des plus banales, elle a commencé le treize mai quatre-vingt-douze, et j’crois qu’elle est toujours pas terminée. »
J’ai toujours vécu à Paris. Ma mère était infirmière, mon père pharmacien. Ils se sont rencontrés à l’hôpital d’ailleurs. Enfin mon père à la base n’est pas français, il est anglais mais sa famille s’est installée en France, j’ai jamais su pourquoi. Si j’étais eux je serais restée en Angleterre, c’est mieux quand même. Toute ma famille quasiment travail dans le domaine médical, j’avais pleins de jouet style docteur maboul, j’entendais toujours ma mère parler de ses patients. Ça m’intéressait pas trop, surtout que ses patients la faisait rentrer tard, je la voyais pas souvent. Mais c’était quand même une chouette famille, on rigolait bien. J’ai toujours profité du fait que j’étais la plus petite de la famille, alors je faisais chier mon frère, et d’ailleurs je le fais toujours chier. Mais il se faisait toujours engueuler à ma place, j’étais morte de rire, je pense que mon père le voyait bien mais il ne disait rien. De toute façon il ne disait jamais rien avec moi. Mes relations avec ma mère n’étaient pas les même, j’arrivais pas à être proche d’elle, j’ai l’impression que ne m’a jamais compris. Enfin je l’aime quand même, c’est ma mère quoi. J’ai eu deux chiens, enfin un était déjà dans la famille avant ma naissance. J’ai eu des poissons aussi, pleins, parce qu’ils se suicidaient tous à la chaîne, j’avais jamais vu ça. J’ai même exorcisé ma chambre, enfin j’ai essayé, ça a pas marché. Vous voulez savoir quoi d’autre ? Ah si mes études. J’ai jamais aimé l’école, je faisais toujours croire que j’étais malade, sauf que j’oubliais que ma mère était infirmière, alors à chaque fois elle me faisait la morale dans la voiture pendant qu’elle m’emmenait à l’école après que mon plan est échoué. J’étais nul, le pire c’était les maths, mon père devenait fou, lui me voyait grande scientifique, c’était un peu foutu. En fait je n’aimais rien, à part la chimie, mais j’ai jamais pensé à devenir chimiste ou je ne sais quoi, je pense que c’est mort avec mon niveau en math de toute façon. Au lycée je séchais constamment les cours, c’était plus simple, plus la peine de faire la comédie auprès de ma mère. Du coup j’avais quelques ennuis, j’étais un peu la petite rebelle de la famille, ça me faisait bien rire, j’avais l’impression d’avoir braqué une banque, et tué tout le monde.
Elle avait fini par prendre des notes, d’ailleurs elle écrivait mal. Elle n’arrêtait pas de hocher la tête, comme les chiens à l’arrière des voitures. Je m’assis en tailleur, elle me jeta un regard rapide. Ouais je peux pas rester assise sans bouger, faut que je bouge tout le temps, et j’aime bien avoir des trucs dans les mains. Sauf que je ne pouvais pas lui piquer de stylo. J’attendais patiemment qu’elle me pose d’autres questions, parce que si elle croyait que j’allais tout raconter de moi-même elle planait loin. Elle me sortit de mon admiration de la fenêtre en reprenant la parole. « Aujourd’hui que faites-vous ? » « Etude de psychologie, mais je veux pas faire comme vous, j’veux pas être détesté par mes clients, non j’aime bien observer les gens simplement, mais je sais pas encore ce que je vais bien pouvoir faire après, ça se trouve je vais finir dans une pharmacie comme mon père, et j’aurais fait tout ça pour rien. » Je sais pas si c’est parce qu’elle était vexé, ou juste parce que c’était un psy, mais elle a pas répondu. « Pourquoi la psychologie ? » J’en sais fichtre rien moi pourquoi, ouais en fait je sais pas. C’était surement mon kiff quand j’ai dû trouver quoi faire après le bac. Enfin c’est cool quand même la psychologie, ça m’intéresse, c’est juste que j’suis pas sûr de vouloir faire ça toute ma vie. « J’suis trop compliquée je sais pas quoi faire de ma vie, quand je commence quelques chose je suis jamais sûr de terminer un jour, je change tout le temps d’avis, et après je regrette. » Encore un hochement de tête et quelques lignes sur son papier. Elle marque peut-être que je devrais être internée. Elle a pas de chance j’ai que dix-neuf ans, niveau vie j’ai pas grand-chose à dire. Je fume, je bois, quelques fois j’me drogue, mais je le garde pour moi, sait-on jamais si elle était tentée de passer au-dessus du secret médical. Plus que vingt minutes, et elle m’a posé en tout et pour tout deux questions, enfin trois, mais la première n’était pas formulée en question donc ça compte pas. Elle pose son stylo et lève la tête vers moi avant de demander « Vous semblez avoir eu une enfance plutôt épanouie, malgré l’absence de votre mère, mais avez-vous connu des déceptions ? » Oh non pitié qu’on ne parte pas la dedans. « Non pas dans ma famille. » « Alors avec d’autres proches peut être ? » Putain mais quelle conne ! Pourquoi j’ai rajouté ‘‘famille‘‘ à la fin ! Oh, de toute façon pourquoi mentir, raconter ma vie est une des raisons pour laquelle elle sera payée, j’ai pas envie de lui donner de l’argent pour le fun. « Ouais, avec Peter. Ah oui vous savez pas de qui je parle. Peter c’est mon meilleur ami, enfin c’était. »
J’sais pas si quand j’vous parle d’âme sœur ça vous dis quelque chose. Quand je vous demande si il y a quelqu’un que vous aimez terriblement, si vous avez l’impression que vous comprenez quelqu’un plus que n’importe qui d’autre, qu’il est plus important à vos yeux que les sept milliards d’humains sur cette planète pourrie, que vous souriez rien qu’en pensant à lui ou elle, vous vous sentez mieux que n’importe qui en sa présence, vous la chercher toujours même quand elle est pas là, ouais quand je vous parle de tout ça je sais pas si ça vous dit quelque chose, mais moi oui. Peter c’était tout ça pour moi. J’ai toujours kiffé son prénom, parce que petite je rêvais toujours de Peter Pan, je voulais qu’il m’emmène avec lui au pays imaginaire. Peter je le connais depuis le collège, y’avait qu’avec lui que je pouvais faire n’importe quoi, jouer au Pokémon, regarder des Disney, se foutre de la gueule des gens, sauter dans les fontaines, être ivre de l’alcool. Enfin, je pouvais faire ça avec tout le monde, mais je préférais le faire avec lui. J’dirais pas qu’il est comme moi, c’est pas comme un clone au masculin, je m’engueulais souvent avec lui quand même, j’aimais bien le faire chier, et je pouvais rester des heures en silence avec lui ça me gênait pas. Ouais Peter je l’aimais beaucoup. En décembre 2010 il est partit pour Noël, je sais pas où, enfin on s’était dit au revoir comme d’hab quoi. Le 28 décembre il était censé rentrer, je l’ai attendu près de chez lui, mais je l’ai pas vu. J’ai appelé le lendemain, il ne répondait pas, aux messages non plus, ni aux texto. J’ai essayé pendant aux moins deux semaines d’avoir des nouvelles, mais j’avais rien. Ça fait quasiment un an qu’il s’est barré sans me dire adieu. Peter est partit pour le pays imaginaire sans moi. J’sais pas s’il est mort, s’il est en France, sur la Lune ou dans un autre pays mais je pense pas le revoir un jour. C’est con de briser une amitié comme ça. Pendant longtemps je continuais à le chercher partout, je continuais à l’appeler pour lui raconter un truc sans m’en rendre compte, aujourd’hui je ne le fais plus, pourtant je garde son numéro précieusement dans mon répertoire, comme si j’avais l’espoir qu’il m’appelle un jour.
J’sais pas pourquoi je lui raconte ça, elle continue de noter sans rien dire. Peut-être qu’elle note l’histoire avec tous ces détails, comme ça un jour elle fera un mixte de l’histoire de tous ses patients, elle écrira un livre et elle se fera des millions. C’est trop pas con comme idée quand même. Elle finit par me lancer un regard compatissant. Je soupire « C’est bon, je vais pas me mettre à chialer, j’m’en suis remis. » En fait je sais pas si je m’en suis remis, je suis indécise sur mes propres sentiments et ressentis. « J’aimerais que vous me parliez de vous. » J’éclate de rire. Elle se fiche vraiment de moi, c’est pas possible. « Non mais, d’après vous j’fais quoi depuis cinquante minutes ? J’suis pas encore schizophrène, ni mythomane. » « Non, je veux que vous me parliez de vous, pas de votre vie, décrivez-vous. » J’ai l’impression de parler à un robot, elle a toujours le même ton monotone et j’ai l’impression qu’elle me donne des ordres. C’est ça en fait ! C’est un robot, elle se fait passer pour un psy pour récolter des informations sur les individus, il doit aussi y avoir des robots médecins, des robots policiers et des robots professeurs, ils essaient de comprendre les humains afin de gouverner le monde à notre place dans un futur plus ou moins proche. Oh tant pis, je ne vais pas mentir à ce stade-là, elle en sait déjà trop pour que je sauve la mise et puis si c’est un robot elle doit avoir un détecteur de mensonge dans son disque dur, alors elle pourrait me tuer si je mens. « Je suis insomniaque je ne dors quasiment jamais, mais je suis souvent fatiguée. J’ai faim aussi, enfin la plupart du temps, je mange pleins de truc mauvais pour ma santé parait-il, mais j’suis pas encore obèse et c’est bien ainsi. J’aime les Pokémons, et les vidéos qui servent à rien sur youtube, j’aime saouler les gens, grimper dans les arbres, chanter des chansons, j’ai toujours raison, même quand j’ai tort. Je pleure jamais en publique, même en me forçant j’y arrive pas, je crois d’ailleurs que personne ne m’a jamais vu pleurer. Même pas mon frère, même pas Peter. J’ai pas envie de tomber amoureuse, et je ne tomberais jamais amoureuse. Je regarde encore Bambi et le Roi Lion, je pleure devant si j’suis toute seule, je connais toutes les chansons par cœur. Je suis fascinée par les nuages. Je parle jamais de ma vie, enfin là c’est différent j’avais pas le choix n’est-ce pas. Je m’énerve souvent pour un rien, et je boude, je peux bouder pendant des lustres, on me donne un grain de sable j’en fais une tempête. J’aime les poissons, et les canards, mais pas les pigeons, ni les araignées. Un rien me fait marrer, et il parait que j’ai le comportement d’un gamin quelques fois, enfin généralement. Certains m'appelle Bambi, d'autres Sol' ou Solé, j'ai même eu le droit à soleil. J’aime observer les orages, donner des surnoms débiles aux gens, même quand je les connais pas, je m’invente souvent des scénarios impossible dans ma tête, je peux me mettre à me parler toute seule, enfin généralement j’évite quand y’a du monde autour de moi. Je couche à droite à gauche avec des types que j’oublie dès le lendemain, certains veulent me revoir mais c’est pas mon genre, les vraies relations et tout, même si j'en ai et en ai eu tout de même. J'oublie à chaque fois les trucs importants, je suis toujours en retard et je suis très maladroite. J'suis directe, et quand j'aime pas quelqu'un, j'aime vraiment pas quelqu'un, mais bon on dit aussi que je suis attachante. J'aime bien rigoler, et faire rigoler les autres. Je m'attache trop vite aux gens, c'est plutôt un soucis, pourtant j'accorde pas ma confiance à n'importe qui. J’aime que les éclairs au café, des fois j’aime un truc, et le lendemain j’aime plus j’ai un problème de goût ouais. J’fais toujours croire que j’suis insensible, je suis totalement impassible comme un mur avec mes sentiments quand il y a foule, mais une fois toute seule je peux chialer pendant des lustres, et je m’arrête quand je sais plus pourquoi je pleure. Bon, je m’arrête ou je continue ? » Cette fois elle a rien noté, en même temps c’est plutôt inutile. Je regarde l’heure, oh mais c’est fini ! « Ca suffira pour cette fois, Mlle Carter. » « C’est Soléanne. » Je me lève, lui sert rapidement la main, elle me dit à bientôt. Ah mais non j’y retournerais pas c’est bon, j’ai plus rien à dire. Je claque la porte, passe rapidement voir ma mère qui aujourd’hui me reconnait puis je sors de l’hôpital en allumant ma dernière clope. Je déteste vraiment les hôpitaux, je sais pas si c’est l’ambiance, ou l’odeur, ou l’impression que la mort tourne autour de moi quand j’y suis mais c’est incroyable comment je me sens mal dans ces trucs-là. La prochaine fois ça sera mon frère qui ira voir ce psy, j’aurais une vengeance, si d’ici là madame la psy-robot-tueuse a pas tué le président et prit sa place.
Dernière édition par Soléanne J. Carter le Mer 2 Nov - 0:33, édité 7 fois |
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