Si je devais garder un souvenir heureux de mon enfance, il prendrait surement place dans le jardin de mes grands-parents, dans leur maison en Ariège. J'ai beau n'y avoir été que deux mois par an jusqu'à mes 13 ans, et ne presque plus y être retournée depuis, je peux toujours décrire le moindre petit détail, que ce soit l'arbre dans lequel on se cachait de ma soeur, avec mon cousin, le chêne sous lequel on prenait le goûter, toutes les cachettes que l'on découvrait, comme la fois où on avait joué à cache cache avec Antoine et que Elyna & moi l'avions cherché pendant une demi heure, jusqu'à ce qu'il sorte de derrière le tas de bout de bois, nous disant que nous, les américaines, nous ne savions même plus jouer à Cache Cache... Apparemment, c'était notre grand-père qui le lui avait dit... Il a toujours été contre le fait que nous soyons logées dans la ville qui ne dors jamais. Pour lui, la seule enfance qui vaille le coup d'être vécue se passait à la campagne. A l'époque, Ely & moi nous moquions de lui, le traitant de campagnard. Maintenant... Je crois qu'il avait raison.

« La vie a beaucoup plus d’imagination que nous »

Ely & moi, si on nous avait demandé ce que nous ressentions l'une pour l'autre, on aurait chacune haussé les épaules et répondu : Bof, c'est ma soeur quoi. Tu parles. Etre sa soeur, ça aura toujours été mon plus grand honneur. Autant, chez nos grands-parents, on était tous traités pareil, comme des enfants devaient l'être, avec une grande tranche de pain, beaucoup de beurre & encore plus de confiture, autant dès que nous étions de retour à New York, elle redevenait "the Bee Queen" de l'Elite New-Yorkaise. Secrètement, je voulais lui ressembler. D'ailleurs, qui n'aurait pas voulu ressembler à cette jolie fille, très intelligente, très populaire & très courtisée ? Mais il faut croire que tout le monde ne la voyait pas comme ça. C'était un 1er mars, presque un mois après mon anniversaire & exactement un avant le sien... Elle avait 15 ans, c'est-à-dire 2 de plus que moi. Elle était partie à une fête et, comme d'habitude, m'avait donné de l'argent pour que je la couvre et dise aux parents qu'elle était partie chez Marie, sa meilleure amie. Elle n'est jamais revenue.

Longtemps, je me suis demandée si c'était de ma faute, si j'aurais du refuser, si j'aurais du dire aux parents qu'elle était partie... On ne l'a jamais retrouvée, vous savez. Enfin, moi j'aurais bien aimé qu'on la retrouve, parce qu'elle restera toujours ma soeur préférée, ma seule d'ailleurs...

Au bout de quelques mois, les gens ont présumés qu'elle était morte. Moi, je n'y ai jamais cru. Vous savez, Ely, ce n'était pas seulement ma grande soeur, c'était aussi la seule personne avec qui je pouvais être moi-même. Petite, elle m'avait appris que je ne pouvais faire confiance à personne, à part à elle & à Antoine. Même nos parents, nous savions toutes les deux qu'ils ne nous aimaient pas vraiment, que nous étions plutôt une gêne entre eux & leurs carrières. Elle m'avait dit que plus les gens pensaient qu'ils me manipulaient, et plus j'étais à l'abris. C'est elle qui m'a aidé à mettre au point mon meilleur jeu d'actrice : " La ravissante idiote ". C'est même plus qu'un jeu, maintenant. Je l'ai joué pendant plus de 10 ans, et je vois mal comment j'aurais pu survivre aux intrigues de l'Elite New-Yorkaise sans cela.

« Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. »

Oui, c'est Ely qui m'a appris ma meilleure leçon de vie. A New-York, les gens avaient fini par comprendre que la soeur de leur ancienne Bee Queen était d'une stupidité effroyable. Ils ont tous finis par y croire. Ils croyaient me manipuler, croyaient que je les aimais. Mais si vous saviez à quel point je les haïssait ! Tout ces gens qui ne me vénéraient que parce qu'ils pensaient que je ne pouvait leurs faire plus de mal qu'un ballon de baudruche, et qui pensaient que j'en avais à peu près le quotient intellectuel. Je ne comprends toujours pas comment on peut être aussi stupide tout en se croyant intéressant, intelligent, et populaire. Même en feignant la stupidité, c'était moi, au final, qui les manipulait.

« Ferme les yeux, et le monde devient ce que tu veux »

Mais tous les jeux prennent fin. Finalement, j'ai eu mon diplôme. Mais je ne voulais surtout pas rester à New York, continuer à jouer avec les gens. 10 ans passés à feindre la stupidité, et vous verrez que, vous aussi, vous perdrez un peu d e votre ancienne intelligence. Je voulais aller à Paris. Après tout, j'étais parfaitement bilingue, et mes parents étaient bien assez riche pour m'acheter un appartement dans l'avenue des Champs-Elysées, si je le voulais. Je n'en demandais pas tant, je voulais juste un appartement pas trop mal, et une place dans une Université d'Art. Je voulais surtout ne jamais avoir à fréquenter encore une fois une Elite qui se croit tout permis... Et à qui, d'ailleurs, tout est permis. Je ne demandais pas l'amour, pas à avoir un job qui me ferait gagner autant que mes parents. J'en avais fini avec les paillettes qui vous en brûlent les yeux, les intrigues qui noirciraient l'âme de Jésus Christ. J'avais réussi, au prix de mes études, à rester saine d'esprit & moi-même ( si vous considérez qu'être soi-même peut passer par le fait de faire semblant d'avoir un QI inférieur à celui de Paris Hilton ).

« Les défauts de nos morts se fanent, leurs qualités fleurissent, leurs vertus éclatent dans le jardin de notre souvenir. »

Il m'était déjà arrivé de parler à tord & à travers, mais seulement en présence d'Ely ou d'Antoine. Même à mes parents, je ne pouvaient trop leurs parler sans qu'ils se rendent compte que j'étais plus intelligente que j'en avais l'air. Alors, retrouver Antoine, cet été-là, ce fut un choc. Je n'étais pas allée en Ariège depuis la disparition d'Ely. Mon cousin & moi avions progressivement arrêtés de nous parler, au point que, lorsque j'y suis retournée, l'été dernier, je ne l'ai pas reconnu, au début. Je me suis juste dite " Ouah ! On n'en fait pas, des mecs comme ça, à New York ! " Et pourtant, là-bas, j'étais sortie avec beaucoup de garçons très différents. Ceux qui se moquaient de moi, ceux qui essayaient de comprendre pourquoi je ne me confiais pas, ceux qui voulaient m'épouser, ceux qui voulaient juste une partie de jambe en l'air. Et puis, en France, il y avait Antoine. Même si on n'aurait pas pu rattraper le temps perdu, de toutes façons, parler autant nous fit du bien, à tous les deux. Et puis, ce qui devait arriver arriva, sans que l'on s'en rende compte. On venait de passer deux heures à parler, à rire, et puis... On s'est embrassés. C'était mieux qu'avec tout les autres... Mais je me sentais coupable. Pourquoi ? Mais parce que c'était mon cousin, enfin !

Je suis partie pour Paris le lendemain, même si cela me déchirait le coeur de partir sans rien lui dire. Mes grands-parents ne durent pas comprendre non plus pourquoi un départ si soudain... Mais ils n'avaient pas grand chose à dire, le temps des grandes tartines à la gelée de framboise était passé, et maintenant... Il n'y avait plus grand chose à faire pour l'Américaine endurcie que j'étais alors. Je pris le train pour Paris, et rentrais dans l'appartement loué par mes parents, bien décidée à profiter de cette année comme il se devait, car, pour la première fois depuis longtemps, je n'aurais pas à faire semblant d'être quelqu'un que je n'étais pas.