« Il n'y a rien de pire qu'une haine viscérale. Elle vous obsède, contrôle votre vie et chaque geste que vous faite est guidé par elle. Pourtant, pour rien au monde vous n'y renonceriez ; parce qu'elle vous fait sentir vivant. »

Il y avait des jours avec et des jours sans. Aujourd’hui, se dit l’homme, c’était un jour sans. Qu’est-ce qu’il avait fait pour se mettre dans une telle situation ? Pensa-t-il en regardant la jeune femme blonde s’engueulait à voix basse avec la sonnette qui faisait trop de bruit. La gueule de bois qu’elle aurait demain serait certainement sévère. Il soupira et s’approcha pour la maintenir droite voyant qu’elle tanguait dangereusement et que les chances pour que son joli minois aille rencontrer commençaient à augmenter. Elle gloussa un instant, trouvant sans doute quelque chose de drôle dans la situation. De toute façon, quand on était saoul, tout avait soudainement des allures comiques. Il pinça les lèvres et se décida à sonner de nouveau. Demain, il travaillait et il n’avait pas que ça à faire. Ramener une étudiante en détresse chez elle n’était pas son occupation favorite, surtout quand cette dernière était ivre. Il était juste venu dans ce bar pour boire un verre et se détendre. Néanmoins quand il avait vu que quatre mecs deux fois plus âgés que la blonde étaient prêts à l’embarquer il ne savait où et qu’elle n’était pas en état de se défendre, il était intervenu. Il s’était décidé à la ramener chez elle mais obtenir son adresse n’avait pas été aussi simple qu’il pensait. Sans oublier qu’il s’était arrêté deux fois sur le chemin pour qu’elle vomisse… Finalement, il ne s’était pas vraiment détendu ce soir.

Ce fut au bout de la troisième sonnerie que la porte s’ouvrit sur une belle brune encore endormie avec un air agacé sur le visage qui voulait clairement dire que celui qui l’avait réveillé allait passer un sale quart d’heure. L’homme la trouva tout de suite plus à son goût. Brune, plutôt petite, mate, un corps qui semblait très attirant caché par un t-shirt trop grand qui laissait place à l’imagination, si c’était elle qu’il avait rencontré dans ce bar, il aurait certainement plus apprécié d’aller chez elle. A côté, la gamine blonde qui devait tout juste avoir vingt ans lui plaisait nettement moins. Certes, elle était désirable mais trop jeune. Les bouts de tissu qu’elle portait sur elle et son air de minette lui montraient que sa maturité ne volait pas bien haut. Elle devait être le genre à être reine du lycée qui trois ans plus tard vivrait une crise existentielle. Un raclement de gorge le fit sortir de ses pensées. Visiblement, la brune n’était toujours pas ravie de le voir avec sa… Sa quoi ? Sœur ? Cousine ? Meilleure amie ? Il n’en savait strictement rien.

« Euhm… Bonsoir… Je… Je l’ai trouvé dans un bar et elle ne semblait pas en étant de rentrer chez elle alors je l’ai ramenée. »

Les mots ne semblèrent pas faire décolérer la brune en face de lui et l’homme se sentit encore plus gêné si c’était possible. Néanmoins, le regard froid posé sur lui alla se porter sur la blonde qu’il tenait encore, cette dernière semblait totalement dans le vague. Ses yeux papillonnaient et elle semblait lutter contre le sommeil. Elle était dans un état lamentable et c’est là que venait la question existentielle qui était : pourquoi se mettre la tête à l’envers ainsi ? Si elle avait des problèmes, ça ne les résoudrait en rien, peut-être que ça ne ferait que les empirer. Visiblement, cette façon de voir les choses passait largement au dessus de la tête de la jeune femme. Etait-ce la première fois qu’elle finissait dans un état pareil ? Au vu de l’agacement de l’autre femme, il dirait que non.

« Qu’est-ce que tu fais là en beau milieu de la nuit Abby ? »

Abby, alors c’était comme ça qu’elle s’appelait. Elle n’avait pas réussi à lui dire son nom tout à l’heure. Ladite Abby se redressa un peu et il l’accompagna dans ses mouvements, craignant encore qu’elle chute. Il fallait dire qu’en plus de l’ensemble « bouts de tissu », elle avait ajouté à la liste chaussures hautes perchées, tellement pointus qu’il imaginait la souffrance de ses orteils là-dedans. Elle sembla lutter un instant pour parler, cherchant ses mots puis finit par prendre la parole, la voix rauque.

« J’habite ici alors arrête de faire ta conne et laisse-moi rentrer. »

A première vue, ce n’était pas le grand amour entre elles deux. L’envie de planter la blonde là et de partir pour se mettre lit gagna le jeune homme. Il avait sérieusement envie de rentrer chez lui, de prendre deux aspirines et d’oublier cette soirée. La situation semblait s’envenimer de plus en plus et il n’avait pas envie d’être là quand elles laveraient leurs linges sales.

« C’est chez moi ici Abby. »
« Ok ! J’ai compris. Je te rendrais ton pull. Ca va ? Heureuse ? Maintenant, arrête de faire chier et laisse-moi rentrer ou je le dirais à papa et à maman. »

Ah. Elles étaient sœurs constata l’homme. C’était assez étrange, physiquement, elles ne se ressemblaient pas du tout. D’un autre côté, tout semblait les séparer. Il eut un soupir, il espérait que leur querelle ne durerait pas longtemps. Heureusement pour lui, sa prière sembla être entendue. Sans qu’il ne réalise vraiment ce qu’il se passait, la brune avait attiré sa sœur à l’intérieur, l’air tout de suite plus mélancolique. Elle le remercia froidement puis avant qu’il ne comprenne, on lui avait claqué la porte au nez. Génial pensa-t-il avec amerté.

« Combien de verres t’as bu Abby ? »

La blonde ne répondit pas, trop occupée à essayer d’enlever ses chaussures, se tenant difficilement à sa sœur qui elle-même avait dû mal à la soutenir. Finalement, une fois l’épreuve des escarpins passées, Pia dut conduire sa sœur jusqu’à la chambre d’ami. Elle l’aida à se coucher et n’écouta qu’une demi-oreille les protestations de la blonde qui disait ne pas être dans sa chambre. Elle s’endormit quelques minutes plus tard. Pia resta plusieurs instants à la regarder, passant une main presque maternelle sur le visage sa petite sœur. C’était les seuls moments où elle l’aimait bien, sa teigne de sœur, quand elle dormait. Elle paraissait si fragile et adorable. En vérité, elle était fragile. Pour ce qui était de l’adorable, Pia avait dix-neuf ans d’expérience qui prouvaient le contraire. Elle finit par se lever et retourna dans sa chambre où son petit-ami dormait encore. Abbygaëlle ne s’était jamais remise de la mort de leurs parents ou disons que la mort de leurs parents avaient fait ressortir le pire en elle. Elle avait toujours été capricieuse, une vraie peste qui menait son monde à la baguette, qui séchait les cours, qui avait perdu sa virginité avec elle ne savait quel type, qui brisait les couples, qui mentait, qui manipulait, qui faisait chanter. En soi, un véritable démon qui était populaire mais qu’on haïssait par derrière. Pia n’avait jamais compris pourquoi elle était si fière d’être ce qu’elle était. Les deux sœurs ne s’étaient jamais comprises et avaient passé des années à se chamailler sous le regard désespéré de leurs parents. Et puis, il y a deux ans de ça, il y avait eu un horrible accident de voiture et elles s’étaient retrouvées orphelines. Pia était déjà majeur, elle avait 24 ans, commençait à travailler. Elle avait eu la charge de sa sœur cadette qui n’avait que 17 ans. Etre sa tutrice pendant un an avait été une expérience horrible. Abby lui demandait de l’argent sans arrêt, séchait les cours (elle avait eu son Bac Dieu seul sait comment), fumait, rentrait bourrée. Elle essayait de la faire rentrer dans le droit chemin, Abby lui hurlait dessus qu’elle n’était sa mère. Les deux sœurs ne s’étaient jamais autant haïes que cette année là. Après ça, Abby avait fêté ses 18 ans et Pia avait vendu la maison de leurs parents, les factures étant trop importantes. Elle avait proposé à sa sœur de venir vivre avec elle, elle avait refusé. Elle s’était installée chez une amie. A première vue, l’arrangement était terminé puisqu’elle était venue ici ce soir. Durant la dernière année, Pia avait à peine vue sa sœur. Elle savait qu’elle travaillait en tant que serveuse dans un bar qu’elle aurait décrit de miteux. Abby avait refusé de faire des études après son Bac. Elle rêvait de faire de la télé et passait des auditions mais Pia pensait que sa sœur n’avait ni le talent ni la patience pour percer dans ce métier. Tout au plus, elle aurait pu devenir mannequin. La brune soupira alors qu’elle atteignit sa chambre. Elle s’occuperait de tout ça demain. Pour l’instant elle avait besoin de prendre les quelques heures de sommeil qui lui restait.

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« PIAAA !!! »

Ca, ce fut le cri d’indignation d’Abbygaëlle quand sa sœur la réveilla brusquement à sept heures et demies du matin alors qu’elle avait une gueule de bois terrible. Cette dernière avait ouvert les rideaux sèchement et lui tendait désormais une tasse de café que la blonde attrapa sans un remerciement. Elle en but une gorgée et grimaça face au goût amer. Elle avait encore les idées un peu embrouillées mais se rappelait tout de même de ce qui s’était passé hier et pouvait très nettement distinguer l’énervement de sa sœur.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? »
« J’avais nulle part où aller. »
« Et Amanda ? Aux dernières nouvelles, vous étiez inséparables. »
« J’ai couché avec son mec. »
« Tu peux t’en empêcher hein ? »

Abbygaëlle ne répondit pas et se contenta de fusiller sa sœur du regard. Elle détestait que sa sœur la juge, elle se croyait tellement parfaite qu’elle avait envie de vomir.

« Je peux rester ici ou je dois aller chercher ailleurs un endroit où crécher ? »

Un silence s’installa entre les deux sœurs. Pia finit par prendre la parole.

« Tu peux rester ici. Mais je te préviens, il y a des règles. Tu évites de rentrer à des heures indues, ici y en a qui bosse et j’ai pas envie de t’ouvrir la porte à trois heures du matin alors que t’es complètement bourrée. »
« Un couvre-feu ? Sérieusement ? »
« Une heure du matin maximum. Tu aides aux corvées. Sortir les poubelles, la vaisselle, les courses, je ne fais pas tout, tu mets la main à la pâte. Oh, j’apprécierais aussi que tu ne te balades pas presque nue, je vis avec mon petit-ami et je pense qu’il apprécierait de ne pas voir toutes les parties de ton anatomie. Compris ? »
« Compris.»
« Bien, je me dépêche, je dois aller travailler. Essaie de ne pas mettre le feu à l’appartement pendant qu’on n’est pas là. »

Abby hocha la tête et se permit un sourire quand sa sœur disparut. Oh, elle allait s’en occuper de son petit-ami. Elle allait voir Miss Parfaite...

Il n'y a rien de pire qu'une haine viscérale. Elle vous obsède, contrôle votre vie et chaque geste que vous faite est guidé par elle. Pourtant, pour rien au monde vous n'y renonceriez ; parce qu'elle vous fait sentir vivant.