« Je reviendrai, je vous le promet. » A peine eu-je le temps de terminer ma phrase que le train démarra. Le quai commença à filer sous les rails, ma mère me tint la main sur une centaine de mètres, courant derrière le wagon fou qui s’en allait à toute allure, m’emportant avec lui vers d’autres contrées. J’adressai un ultime signe de main à toute ma famille restée derrière moi avant de les voir disparaitre, cachés par le noir du tunnel dans lequel nous entrions. Voilà… L’heure avait sonné. Je quittai ma Russie, visa en main, pour partir en France. Un pincement au cœur, mais aucun regret. Je vais vivre mon rêve. Adieu, tristes paysages froids de l’est ; je pars pour un autre monde, je pars pour la France. La France, le pays où les rêves se réalisent…

Cependant, je n’avais jamais rêvé de vivre dans la rue. Je n’avais jamais rêvé me retrouver allongée sur un sol de pierres gelées, au beau milieu d’une rue, à prier, encore et encore, pour ne pas mourir de froid sous la neige pendant la nuit. J’aspirais à une vie plus glorieuse. Je rêvai d’un grand appartement au beau milieu de la ville. Je rêvais d’un chien, d’un mari aimant, d’enfants joyeux… Je rêvais… Paris est une ville trop pressée pour laisser place au rêve. Paris est une ville trop pressée pour avoir le temps de composer autre chose que la réalité.

Pourtant, le ciel a un jour décidé d’être clément… Ce jour là, je ne pouvais même plus bouger mes doigts engourdis à l’intérieur de mes gants râpés, je me souviens de mes lèvres, gercées qui me blessaient à chaque inspiration, et, par-dessus tout, je me souviens du moment où il est apparu dans une lumière éblouissante. Grand, élégant, chaleureux. Je me souviens de sa main, tendue pour attraper la mienne. Du bras réconfortant avec lequel il a entouré mes épaules. Je me souviens des quelques mètres que nous avons fait pour atteindre sa voiture. Et je me souviens m’être endormie, contre la vitre glacée de sa berline, puis m’être réveillée, dans une chambre claire. Sur un oreiller moelleux, et lui, endormi sur une chaise en face du lit. J’avais attendu, toute une journée, qu’il se réveille. Et lorsqu’il avait ouvert les yeux, il m’avait offert un sourire sublime. Nous n’avions pas parlé, car je ne parlais encore que très peu le français à l’époque. Il m’avait simplement montré la salle d’eau, et tous les produits que j’avais trouvés, à l’époque, si merveilleux. Je m’étais lavée, et dans le miroir, je m’étais retrouvée. Ma chevelure de feu que j’aimais tant, mes yeux pétillants d’une envie farouche de vivre. Je m’étais retrouvée. Moi, dix-sept ans, la vraie, la forte, l’autenthique, Anya…

Je vécus un peu plus de sept mois chez Simon. Simon est le prénom de l’homme qui ma recueilli : Simon Oliver Dubois, le maitre d’école. Simon était un enfant de la campagne landaise. Un bon vivant, aimable et généreux. Il m’a appris tout ce que je sais. Simon est en quelque sorte mon mentor. Une fois que j’ai su m’exprimer dans un français correct, il m’a aidé à trouver une place dans une école du quartier où j’aide une institutrice à s’occuper de ses élèves. Il m’a loué la partie sous les toits de sa maison, et ainsi, je vis, convenablement, une vie de rêve, sous ma charpente, reine des toits du vieux Paris…

Finalement, peut-être que Paris est la ville des rêves… Il suffit peut-être de trouver le juste rêve…