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Son mascara coulait encore alors que le gin avait séché depuis plusieurs heures déjà. Hermia savait ses pommettes collantes et elle n’y pouvait pas grand-chose. Assise sur le banc du commissariat à très exactement cinq heure huit du matin, elle balançait dans l’air ses pieds nus, les yeux perdus dans le vague. Posées à côté d’elle, ses chaussures achetées la veille, flambant neuves au début de la soirée, n’étaient devenues rien de plus que l’ombre de vieilles savates. C’en était fini : elle ne les remettrait plus. Le point de non-retour avait décidément été franchi. La déchéance l’avait heurté de plein fouet, ne lui laissant aucune chance de s’en sortir. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Le choc avait dut l’abasourdir. Même elle n’était plus tellement sûre des conditions de l’accident. Les causes et les conséquences s’étaient enchevêtrées dans une succession de malchance qui, semble-t-il, avait pris un malin plaisir à jouer avec les nerfs de tous les protagonistes. Ce n’était peut-être la faute de personne. Ou peut-être celle de tout le monde. Hermia ne savait plus. En y repensant, elle eut un fou rire. Nerveux et absolument incontrôlable. Elle était stone. Avant cette nuit, elle n’avait jamais fumé d’herbe.

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—« On va prendre un verre ce soir, après la réunion de 20h, tu veux venir ? On va au Guinness Tavern, si ça te dit. Au fait, sympas tes nouvelles chaussures. »

Proposition sympathiques et collègues avenants. Il n’y avait eu aucune raison de se méfier. Pourtant il aurait dut y avoir un signe. Comme un souffle austère à glacer le sang et l’esprit. Ou une tension menaçante aussi électrique qu’un soir d’orage. Quelque chose. Simplement. Une manifestation qui l’aurait empêché d’accepter avec autant de sérénité. Mais rien de tout cela ne se produisit. Elle se revoyait encore, un large sourire aux lèvres, passant le pas de la porte du pub à l’ambiance déjà survoltée.

► P L A Y

—« Alice, c’est ça ? Donne-ça à Léo. T’as pas intérêt à garder la came pour toi. Et surtout dis-lui de me payer fissa sinon j’lui pète les deux genoux. »

L’inconnu l’avait agrippé par le bras à la sortie des toilettes, pour mieux la bloquer dans un recoin sombre du bar. Avant même d’avoir compris le sens de ses mots, il lui tournait déjà le dos, disparaissant dans une foule de clients excités. Dans sa main, un sachet contenant une barrette brunâtre. Il lui fallut plusieurs secondes avant de réaliser. Alors, elle aurait voulu lui courir après. Lui dire qu’il y avait une méprise. Qu’elle ne s’appelait pas Alice. Qu’elle ne connaissait aucun Léo. Qu’elle ne faisait absolument pas dans l’illégalité. Pourtant, il lui fut impossible de faire un seul pas. Tétanisée par la situation, elle ne savait pas comment réagir. Crispée, elle avait, comme par réflexe, refermé sa main sur le colis suspect. Si elle le jetait dans les toilettes, cette Alice aurait sans doute des problèmes. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Pourquoi fallait-il qu’elle ignore ce proverbe avec tant d’impudence ? Le poing toujours serré à son maximum, elle rejoignit la salle principale. Sur son visage on lisait facilement l’inquiétude et l’angoisse. Scrutant désespérément la foule, elle pensait peut-être que naïvement le nom de Léo allait apparaitre sur le front de l’un des clients et qu’elle le reconnaitrait. Bien sûr ce genre de chose ne s’était jamais produite et ce n’était pas prêt d’arriver. Surtout pas pour les beaux yeux effrayés d’Hermia. La poisse l’avait harponnée. Maintenant, elle ne la quitterait pas de la soirée : c’était couru d’avance.

Un sachet de drogue dans la main droite et l’air complètement hagard, elle ne tenta pas de rejoindre son groupe de collègues assis dans un coin de la salle. En réalité, elle se voyait mal arriver à leur table et dire : « hey, vous devinerez jamais ce qui vient de se passer ! ». C’était idiot. Elle était bel et bien toute seule dans cette affaire. Frôlant les murs avec discrétion, elle se dirigea petit à petit vers la sortie principale, encombrée par les nombreux fumeurs en manque de nicotine. L’ambiance tamisée, les lumières sombres et l’étouffante rythmique des titres rock en fond sonore, ne faisaient qu’accentuer son mal-être. À quelques mètres du but, elle accéléra le pas, sentant le vent frais s’engouffrer dans l’entrée. Obnubilée par l’image de la rue plongée dans la nuit, elle en oublia la foule. Mais très vite un choc la ramena à la réalité. Son épaule était douloureuse. Elle venait de percuter un obstacle. Ou plutôt un être. De chair et de sang.

◆ E J E C T

—« Excusez-moi, je suis déso-…non, mais c’est pas vrai ! »

Sous le heurt du contact, le sachet lui avait échappé des mains. Il se promenait désormais quelque part dans la nature, peut-être écrasé sous la semelle d’un « petit » 44. Elle n’avait pas d’autres choix que de s’accroupir pour remettre la main dessus. Sans même un regard pour la personne qu’elle avait bousculé, Hermia se mit à quatre pattes dans la foule, priant pour repartir avec chacun de ses doigts. Il y en avait dix. Elle les avait comptés, il y a longtemps.