Je vivais enfermé dans une prison dorée depuis ma plus tendre enfance. Habitué que j’étais aux précepteurs et autres professeurs particuliers que mes bourgeois de parents payaient pour m’éduquer et m’apprendre les choses de la vie, j’ai eu beaucoup de mal à me faire à l’idée de suivre des cours dans un collège et un lycée « normaux ». Mais j’ai finalement réussi à m’ouvrir aux autres, à mes nouveaux camarades qui sont devenus petit à petit des amis pour moi. J’ai pris conscience qu’il existait beaucoup de choses en dehors des murs de pierres du Manoir de mes parents, des choses que je ne connaissais pas. Que je ne connaissais pas encore.
Et puis Jaeden est arrivé. Je ne sais pas comment tout ça s’est produit exactement, mais le fait est que nous nous sommes rapprochés. Ou plutôt Jaeden m’a harcelé pour que je finisse par l’accepter dans mon entourage très restreint. Aujourd’hui encore, j’ignore pourquoi j’ai tant peiné à le laisser entrer dans mon univers - peut-être parce que je sentais qu’il était un peu spécial. Pas comme les autres. Toujours est-il que j’ai finalement cédé et nous sommes devenus des amis. Puis bien plus. Il y avait comme ce courant électrique, cette tension entre nous lorsqu’il était proche de moi. Parfois, il suffisait qu’il apparaisse dans mon champ de vision pour que je perde tous mes moyens. C’était effrayant et excitant. Je ne connaissais rien aux sentiments amoureux, au désir. À tout ce qui faisait que je devenais un jeune homme de mon âge. Un jeune homme avec des sentiments, des envies, des pulsions.

Il m’a fallu un certain temps avant d’accepter ce qu’il m’arrivait, ce que Jaeden déclenchait en moi. Seulement, j’ai à peine eu l’occasion de profiter de cette chaleur au creux de mon estomac, de mes reins, que tout a été détruit par la faute de mon père. J’ai été viré de chez moi et je n’ai pas eu le courage de dire au revoir à Jaeden avant de fuir pour la France. À quoi bon ? J’avais trop honte et je ne pouvais pas l’affronter. Affronter son regard.
J’ai beaucoup repensé à lui, les premiers temps. À peine débarqué dans la capitale française, j’étais seul et perdu. Je ne savais pas quoi faire de ma peau et restait ce goût d’inachevé au fond de ma gorge quand je me remémorais les prémices de cette première histoire - une histoire d’amour ? Puis les années ont passé. Il est devenu un souvenir, enfoui dans un tiroir caché de mon cœur que je n’ai jamais voulu rouvrir. Parce que je ne suis plus Noah ; je suis désormais Aaron - Noah est mort le soir où je me suis retrouvé renié par ma propre famille. Il m’a sûrement oublié de toute façon. Il a dû facilement me rayer de son existence après la scène que lui a faite mon père ce soir-là. Je ne lui ai même pas dit au revoir. Et puis, nous n’avons pas eu le temps d’approfondir notre relation après tout alors pourquoi se souviendrait-il de moi après tout ce temps ?