AVALANCHES (miette)

Tu crois que ça se voit, l'amour, dans les yeux ?
Ou même dans les cheveux ou dans les deux, on s'en fout.
Tu crois ?
Non, toi tu dois même pas savoir.
Enfin, pardon, je juge.
Je fais que de parler dans ma tête en plus, quand je monte les escaliers derrière elle. J'ai croisé Tati sur le trottoir, elle m'a dit j'ai pas le temps pour toi Rémi, ça m'a pris de plein fouet, en plein cœur, comme si elle avait foutu ses mains dans ma cage thoracique et qu'avec elle avait tordu mon cœur entre ses doigts. Elle m'a montré une blonde étoilée du bout du menton et c'est derrière elle que je monte les escaliers. C'est à elle, que je pose des questions dans ma tête. C'est la première fois que je la rencontre. C'est elle, qui commence à défaire sa robe, je la vois faire dans le miroir, moi je suis assis au bout du lit avec les mains sur les cuisses.
Quoi ?
- Qu ... Qu'est-ce que vous faites ?

Je sais comment on fait maintenant, je sais comment lui prendre la main en caressant sa paume avec mes promesses au bout des doigts.
Je sais que c’est pas moi qu’il regardait. Mais je suis blonde aussi, presque aussi blanche, presque jolie. Peut-être que lui aussi, il me regarderait avec des étoiles dans les yeux.
Comme les amoureux.
Comme Balto quand il est malheureux.
Moi je veux croire que je peux les sauver tous, que je peux les sauver en leur faisant oublier. C'est ça qu'il dit Balto "les filles de joies".
Moi aussi je veux donner du bonheur dans les yeux.
J’ai même plus peur maintenant, quand je fais glisser ma robe tout doucement. J'ai froid, un peu, mais ça dur jamais très longtemps.
Qu'est-ce que je fais ?
- Je te donne du bonheur.
C'est ça que je fais. Je donne du bonheur avec mon corps. C'est pas sale, Balto a promis. Ici c'est plus la Russie et c'est comme ça qu'on fait à Paris. Montrer son corps et faire sourire les gens.
Mais il a quand même l'air surpris. C'est sa première fois surement.
J'aime ça les premières fois.
Je voudrais que ma vie soit remplie de première fois.
- Ca va aller, promis.

- Je te donne du bonheur. Ca va aller, promis.
Elle a enlevé sa robe et c'est la première fois que je vois une fille sans robe ou sans jupe ou sans rien. Même pas Tati. Je m'en souviens des mots de Tati, des petits mots balancés comme ça, eh, tu pourrais aller voir mes copines aussi de temps en temps ? Ses copines, je vais surtout les voir quand Tati veut pas de moi. Tati et les mains de Tati. Ses doigts entre les miens. Tati qui m'embrasse jamais parce que la première fois j'ai dit non et qu'elle a jamais réessayé. Les autres filles que j'embrasse pas parce que Tati a passé le message, Rémi il paye pas, Rémi c'est un prince, il te prend la main et ça te fait comme un pansement. Rémi c'est ça. Vous avez pas intérêt à enlever vos fringues sinon Rémi, il va flipper.
T'écoutais pas, toi, c'est ça ?
Ou t'as décidé de changer les règles ?
- Mais moi je ... Je suis pas là pour ça. Tu sais. Je suis Rémi, moi.
Rémi, il sait même pas embrasser les filles.
C'est pour ça qu'il est toujours puceau.

rémi.
ré-mi.
r é m i.
C’est quoi un rémi ?
Pourtant je connais ce mot-là. Je le sais. Je crois que je l’ai déjà entendu, sûrement de la bouche de Tati. Mais je l’écoute pas quand elle parle, elle m'impressionne , elle me fait envie.
J’ai presque l’air de lui faire peur à ce rémi, avec mes seins qui pointent et ma robe par terre.
Miette la pute russe qui fait peur.
Humiliant. Avec le sourire. (faut pas faire peur au client)
- D’accord, t’es un rémi.
Je reprend ma robe, je la remet, tout doucement. Faut pas qu’il parte. Faut plus que je lui fasse peur.
Je m’assoie sur le lit, en tailleur, juste à côté de lui, et je lui prend la main.
Elle est toute chaude, toute douce, pas bien plu grande que la mienne. J’en connais pas beaucoup des mains comme ça. Elle est pas comme celles de Balto, ni comme les monsieurs-porc. C’est une main qui rassure.
- Toi aussi tu donnes du bonheur aux autres ?
Je pensais être la seule. Je pensais que c’était que les filles. Mais je suis contente. Moi aussi je veux un rémi. Et peut-être même que je pourrais payer pour un avoir un si j’étais riche.
- T’es là pour faire ça ? Faire sourire avec tes doigts ?
Si c’est le cas, et bien ça marche. Miette tout sourire.

Rémi. Mais qu'est-ce que ça veut dire Rémi. Rémi c'est rien, Rémi c'est moins que rien, Rémi ça existe pas. T'exagères Rémi. Rémi c'est un prénom qui fait de la musique, Rémi c'est des étoiles en plastique, des étoiles de contrefaçon, des étoiles de petit garçon, mais des étoiles quand même, alors il les distribue sans compter. Y en a, leur bonne cause, c'est les sans-abris, Rémi, c'est les filles de joie, les filles-bonheur qui lui donnent souvent envie de pleurer.
Rémi regarde ailleurs pendant qu'elle remet sa robe.
Rémi c'est une peureuse aussi.
- D’accord, t’es un rémi.
Et sa voix c'est du nuage.
- Toi aussi tu donnes du bonheur aux autres ? T’es là pour faire ça ? Faire sourire avec tes doigts ?
Elle s'est assise et elle a pris ma main, comme si elle s'était soudain souvenue de quelque chose, ah, oui, Rémi, Rémi c'est les mains, c'est pas encore une épaule pour pleurer ou pour mieux avancer, mais c'est des mains, c'est déjà bien. Mais peut-être pas. Peut-être qu'elle a juste deviné.
- Je ... je crois.
J'aurais pas dit bonheur c'est trop prétentieux.
J'aurais dit douceur.
Mais ça rime alors bon.
- Comment vous vous appelez ?

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