là, tout l'temps, y'a lola et moi, y'a le soleil qui se fait saigner par la nuit, avec sa lumière orange trop mort qui se reflète sur nos visages trop défoncés par la vie, par le temps, et la fumée blanche qui voile l'hideux tableau. (heureusement) j'sais pas trop c'qu'on fait là, parfois ça nous prend, des moments comme ça, où on s'dit rien, mais on est quand même bien, j'pense que c'est lola c'est lola qui fait en sorte que tout aille bien. couchée sur le banc les jambes sur les siennes, les yeux à demi-mort, qui voient flous, qui veulent pas s'rendre compte que le monde est plus beau que moi. c'est parce que y'a lola, que ça fait pas mal, j'suis sûre.
allez fais pas ta meuf, on s'en fout, on est bien là, non ?
j'me relève, pour observer les gens d'en face. ils nous regardent un peu bizarrement j'crois, c'est deux gamines, elles doivent avoir quatorze ou quinze piges. j'souris un peu bizarrement, comme elles.
d'ailleurs tu sors encore ce soir, ou j'peux enfin squatter ton sofa après tout c'temps ?

je tue les gamines aux rouge à lèvres bordeaux des yeux. ça m'exaspère un peu leur attitude, l'insolence dans leurs prunelles qui me hurlent dans l'iris d'aller voir ailleurs. ça m'exaspère mais je me dis que c'est moi, au fond. ces filles pré-pubères trop innocentes aux seins naissants et au cul qui roule en permanence.
lola, elle roule des yeux, ou elle hausse les épaules je sais pas (je sais plus),  puis elle lâche un bof qui sonne plus comme un soupir qu'autre chose. je souris parce que je sais qu'elle en a envie aussi. alors j'étire mes lèvres encore plus pour compenser l'absence de joie sur son visage. je sais qu'elle m'aime lola.
je sais.
comme pour me rassurer elle me rend mon sourire idiot et maintenant on a l'air de deux imbéciles
des imbéciles heureuses
sérieux princesse lola est seule un si beau soir d'automne à paris ?? t'as un coup de mou ou quoi j'suis presque déçue de toi
je ris.

le visage de lola se crispe, un peu, c'est léger mais je le vois, ça se sent. puis là, elle me dit "j'suis amoureuse". hé.
c'est à moi de dire ça normalement,
c'est toujours moi qui balance ces trois mots à chaque fois qu'un joli garçon m'aborde,
c'est toujours moi qui souffle ces trois mots à chaque fois qu'un beau damoiseau me sourit,
c'est moi,
alors pourquoi ?
sérieusement ?
je n'dis pas ça sur le ton du reproche, ou en haussant mes sourcils trop épilés.
je dis ça en sautillant sur le banc et en prenant ma jolie par la main, en la serrant fort, les yeux pleins d'étoiles.
elle est amoureuse ?
vraiment ?
mais qu'est-ce-que amoureuse veut dire dans le langage lolaien ?
de qui ? depuis combien de temps, pourquoi ? il est beau ??
lola amoureuse, c'est comme une nouvelle ère qui débute. c'est comme si mon bébé grandissait trop vite, et qui s'éloignait de moi.
je veux ?
je veux pas ?
pardon, j'dois te souler avec mes questions trop cons, mais.
je sors une clope de mon paquet, j'en tends une à lola, et je vois qu'elle ne s'amuse pas, qu'elle n'est pas contente, qu'elle n'a pas le sourire amoureux marqué sur ses lèvres comme moi, à chaque fois. (tout le temps)

lola l'amoureuse
lola moureuse
lol l'amoureuse
lola, pourquoi ?
lola qui aime, ça m'fait tout d'suite penser à lola qui crève, ça m'fait tellement mal, puis c'est tellement improbable. parce que lola, elle est forte, elle vit comme la plus grande des tarées et elle m'avait promis. elle m'avait promis de jamais me laisser là à gîre sur ce putain de trottoir. y'a toute ma bile à mots bizarres qui sort de ma bouche, mais lola elle reste de glace. elle répond rien, et je hausse un sourcil. elle sort juste son briquet pour allumer ma clope.
- tu réponds pas à ma question, ça veut dire que tu veux pas en parler ou que tu te moques de moi intérieurement parce que j'suis la pire des connes ?
je ris, j'essaye du moins.