Le métro ne se retourne sur le petit clochard blond qui passe son temps à chanter. Le métro ne me reconnaît même plus. Les habitués se retournent vers moi, tout sourire. Roger ne peut pas s'empêcher de siffler à la vue du nouveau Félix. Et ce nouveau Félix, il est sur son trente et un. Ça vient de sortir, la dernière mode de cet été. Tout ça, pour une fille. J'ai plus vraiment l'habitude de sentir bon. Fin, bon, autre chose que l'humidité, disons. Vous savez, cette odeur qui prouve que vous vivez dans les bas fonds de la ville. Ce truc insupportable, qui tue les poumons, qui gâche le sel. La moisissure. Oui, voilà.
Ce soir, elle s'est évaporée, dans quelques gouttes d'eau et de savon. Dans une coiffure presque impeccable. La seule chose qui me trahie encore un peu, ce sont les trous sur mon jean et mes chaussures usées. Mais y en a qui achètent des pantalons troués, là haut, une fortune. Alors, finalement, ça ne choque personne. Même pas les terriens.

Encore une fois, le ciel est noir. Noir d'une nuit douce. Ça fait tellement longtemps que je n'ai plus réellement vu la lumière du jour que j'ai fini par l'oublier. De toute façon, elle ne m'aime pas. Mon corps ne la supporte pas. J'ai parfois l'impression d'être l'un de ces vampires se cachant des rayons du soleil. Sauf que moi, je ne me nourris pas de sang. Je n'ai pas non plus de dents aiguisées pour les cous des jeunes filles. Non, j'ai rien de tout ça, juste quelques traces peu élégantes sur le corps. Et des yeux parfois trop rouges, parce que brûlés par la force de l'astre de feu.
Je suis ce qu'on appelle, un papillon de nuit.

Et ce papillon de nuit, il vole dans les rues sombres et presque mortes. Il papillonne jusqu'à cet immeuble bien plus grand que lui. Cet immeuble renfermant des centaines de petites vies. Mais surtout, Isaya. La fille du métro. Elle peut passer des heures à nous écouter, la jolie. Ça fait du bien, de voir, que, finalement, notre musique peut avoir du succès. J'crois bien qu'elle a les plus beaux cheveux de Paris. Ou peut-être même de toute la France entière. Même Angélique, elle les avait pas aussi beaux. Ils volent au vent et tombent souvent sur ses épaules. Ça la rend encore plus jolie. Parfois, j'ai pas le cœur à l'écouter alors, dans un élan total d'égoïsme je la rejette. Surtout quand elle se trouve persuadée de pouvoir me sortir du métro. C'est tellement surréaliste.
Mais c'est pas grave, puisque au final, Isa, c'est surtout une présence magnifique.

C'est pour cette magnifique présence que j'ai fait des efforts ce soir. J'avais pas envie qu'elle se dise 'oh tiens voilà le clodo qui empeste'. Après tout, elle a eu la gentillesse de m'inviter. Puis ça fait si longtemps que je suis plus entré dans un appartement. Le simple fait de me retrouver devant chez elle me donne une sensation étrange. Le petit crasseux qui frappe à le porte d'un appartement. Y a une voix qui résonne dans ma tête, elle me dit de retourner dans le métro. Ma place est là-bas.
Et c'est vrai. Mais c'est trop tard, parce qu'Isaya ouvre le porte. Et son visage angélique me fait sourire.

« J'avais une bouteille de champagne et une pizza mais les tortues ninja me sont tombées dessus. » L'humour du métro, celui de Roger, en particulier. À croire qu'à force de l'écouter parler j'en deviendrais comme lui. C'est toujours mieux que lui dire la vérité qu'elle sait déjà, c'est-à-dire : j'ai pas un rond en poche, alors la pizza, t'en verras jamais le jour.
De toute façon, à la base, je suis venu pour la voir, pas pour manger des saloperies. Même si ça fait bien longtemps que j'ai plus rien mangé d'appétissant. Ce soir, l'estomac passera en second plan.
Alors, sourions.