Il vient de finir de travailler, il a eu le temps de se changer avant de rejoindre des potes au café oz, parce qu'il y a apparemment une grosse soirée là bas. Raphaël se sent un peu bizarre, il plane un peu, il est là sans être là. Il a fumé avant d'entrer et la musique électronique qui tambourine dans le bar boîte prend une dimension étrange. Presque transcendante. Il va boire quelques verres avec ses potes qui ont déjà bien commencé la soirée et qui sont déjà bourrés quand il arrive, ils se marrent, ils discutent. Un des mecs lui raconte comme une nana est venue lui parler pour le chauffer, comment elle lui a proposé de venir avec lui dans les toilettes et comment il lui a dit que si son but était de refiler le sida elle devait s'adresser à quelqu'un d'autre. Il n'était pas intéressé. Raphaël esquisse un sourire en les écoutant, on lui sert d'autres histoires, des trucs improbables mais dignes de la capitale parisienne. Lui même peut en raconter. Son métier de livreur lui permet de tomber sur des gens parfois étranges et il parle d'une femme de bien quarante ans qui lui a proposé de revenir chez elle après son service. Raphaël boit quelques verres, il est installé à une table et lorsqu'il a fini son troisième cocktail, il se lève. Les lumières l'éblouissent un peu et il cligne des yeux, il regarde autour de lui, semble chercher quelqu'un des yeux et finalement, il s'enfonce au milieu des danseurs et buveurs pour atteindre le bar. C'est lorsqu'il est à mi-chemin qu'il a soudainement des vertiges, mais ça n'a rien à voir avec l'alcool ou la drogue. C'est elle. Apolline de Ronsard. Elle est là, pas loin. Elle ne l'a pas encore vue et il a le temps de l'observer quelques secondes. Il l'a reconnu tout de suite même si elle a changé. Tout semble avoir changé chez elle. Ou presque. Elle a toujours cette même expression collée sur le visage. Réfléchir. Il doit réfléchir.
Il ne va pas aller la voir, et il espère qu'elle ne l'a pas vu, il se détourne et s'avance vers le bar, il commande un whisky coca. Un bon remontant pour oublier ce qu'il a vu. Mais l'image d'Apolline ne peut s'enlever de sa tête. Il ne peut s'empêcher de se demander ce qu'elle est devenue, si elle a changé ou si elle est toujours la même, cette fille vulnérable et sensible qu'il a connu... Raphaël ne peut pas aller la voir, car il sait qu'il a mal agit, il l'a laissé, il a disparu du jour au lendemain, sans lui donner de raisons, sans lui donner de nouvelles, et il ne peut pas revenir comme si de rien était. Peut être parce qu'il a un peu honte. Pas qu'un peu.
Mais elle est devenue très belle. Enfin. Elle l'a toujours été à ses yeux.
Il boit une gorgée de son whisky coca et il se tourne pour retourner à sa table, il se fraye un passage entre les gens qui dansent. Le café oz n'est pas trop rempli ce soir. Moins que d'habitudes. Et il fallait qu'elle soit là.

Sonne dix-neuf heures, l'heure de s'en aller dans les rues sombres sales de la capitale. La jeune fille avait simplement laissé un mot sur la table de son frère: je suis sortie. les pâtes avaient une odeur de bonne bouffe, j'ai rien pu manger. poutous. Puis elle sortit. Elle s'en voulait un peu de faire souffrir son frère, mais c'était comme ça.
Elle marcha longtemps souriant parfois à de beaux inconnus. Elle s'arrêta un instant pour respirer une des bouffées de cigarette d'une parisienne, avant de reprendre son chemin. Elle était un peu perdue, ne sachant où aller. Elle prit le métro, n'importe lequel, du moment qu'il l'emmenait loin de chez César, ça lui allait. En suivant une fille, elle atterrit dans le premier arrondissement. Chouette endroit. Trop chouette endroit. Elle se surprit à sourire encore. Pauvre cruche.

Elle voulait boire ce soir, et pour boire, il fallait suivre une foule bruyante. Aussitôt dit, aussitôt fait. C'est pourquoi elle est rentrée dans le café Oz. Elle a vite commandé un verre de je ne sais quoi, elle l'a bu et s'est faufilé parmis les gens qui dansaient. Elle ne dansait pas, elle tournait sur elle-même, pour se perdre parmi la foule. Elle était discrète, personne ne pouvait la voir. Puis elle cessa de tourner un instant, chancelante. Un peu pâle, elle fixa un point pour reprendre son équilibre. Cependant, un regard la surprit. Un regard familier. Il s'échappa bien vite. Apolline le suivit discrètement des yeux, avant de le voir au bar. Et là, Apolline courut presque. Raphaël. Son Raphaël. Son imbécile de Raphaël. Qu'allait-elle faire maintenant ? Lui sauter au cou en lui hurlant qu'elle avait besoin de lui ? Non, non, ce serait stupide. Alors... " Ca fait six ans que je t'attend. "

" Oh bordel " c'est exactement ce qu'il s'est dit lorsqu'elle est arrivée à sa hauteur et qu'elle s'est adressée à lui en lui disant qu'elle l'attend depuis six ans. Dommage. Loupé Raphaël. Elle ne l'a pas oublié, loin de là, elle vient même de lui dire qu'elle l'attend. Il la fixe, surpris, se sentant complètement con, impuissant, et il ne sait pas du tout quoi faire. Il se sent un peu nauséeux d'un coup, il tient son verre fermement pour ne pas le laisser tomber. Vraiment, il ne sait pas quoi faire. Est-ce qu'il doit faire comme si de rien était ? Doit-il inventer un mensonge pour se trouver une excuse pour ne plus l'avoir contacté depuis.. six ans ? Ou doit-il rester fier ? Il peut aussi l'envoyer balader et pendant une seconde, l'idée de faire comme s'il ne la reconnaissait pas lui traverse l'esprit. Oui, ce serait peut être horrible mais plus simple de lui répondre " Heu.. On se connait ? " mais dieu sait, si réellement ça fait six ans qu'elle l'attend, elle risque de le prendre sûrement assez mal et il la connait.. Si elle n'a pas changé, il sait comme elle est émotive et comme un rien peut la bouleverser. Il n'a pas le choix, il est là, coincé au bar avec elle, et elle attend une réaction qu'il est incapable de lui donner. Pendant quelques secondes, il n'est même pas capable d'articuler un seul mot parce que ce qu'elle vient de lui dire ça lui fout une boule dans le ventre, ça lui retourne l'estomac. " Salut Apolline.. " dit-il avec cette désinvolture qui lui est propre, ce calme. Raphaël passe alors une main sur sa nuque avant de boire une longue gorgée de son verre et pendant quelques secondes à nouveau, il songe à lui mentir, à lui dire qu'il a déménagé et que c'est pour ça qu'il n'a pas pu lui donner de nouvelles depuis tout ce temps, qu'il a perdu son numéro, tout ça... mais c'est sur réaliste et il se demande si elle a déjà réfléchit au pourquoi du comment.. ils se sont perdus et si elle sait qu'il a fait ça.. plus ou moins de son pleins gré. " Comment ça va ? .. Depuis le temps. "