Un manteau. Il m'avait fait porter un manteau blanc, ce patron. Aha. C'était très drôle, comme blague, sincèrement. Les hommes ne se décidaient donc jamais à vieillir, et il en était l'exemple parfait. La couleur des vierges pour la fille qu'il avait défleurie de sa propre vigueur, cinq années auparavant. C'était d'un comique si fort et poussé qu'il faudrait me pardonner pour ne pas y répondre avec le rire, ou même le sourire. Heureusement, j'avais échappé aux talons, ce soir. Je crois qu'il a vraiment pris ma menace aux sérieux, lorsque je lui ai dit que j'étais sure et certaine qu'une journée de plus avec ces abominations aux pieds me produirait des ampoules si repoussantes que plus aucun de mes clients "réguliers" ne voudraient me voir pour l'éternité. Pantalon beige, manteau blanc et ballerines brunes. J'avais l'air ... Normale. Ni trop élégante, ni trop peu, d'après ce qu'il m'avait dit. Schmitt m'aimerait, comme ça, c'était sûr et certain. Schmitt semblait m'aimer quoi que je porte, de toute manière, et c'était compréhensible, étant donné que je ne restais pas habillée bien longtemps, avec lui. Je m'étais présentée dans une autre demeure ... J'y étais déjà allée une ou deux fois, dans celle-ci, mais je ne l'aimais pas trop, et je crois qu'il l'avait compris. Ou pas, finalement, étant donné qu'il m'y avait conviée, à nouveau. Ce n'était ni la décoration, ni le mobilier de cet appartement qui me dérangeait en soit, oh que non. Ce que je n'aimais pas, dans cette propriété de Schmitt, c'était sans doute la personnalité que la demeure dégageait. Il avait tant d'appartements pourtant si impersonnels ... Pourquoi éprouvait-il le besoin de m'emmener dans le seul domaine où l'aura de confort qui s'en dégageait me suffoquait au plus haut point ? Je ne le saurais décidément jamais.

D'où venait-elle, cette personnalité ? Je ne sais pas. Peut être étais-ce dans l'odeur parfumée dans l'air ; Chanel numéro 5. Un parfum typiquement féminin que certains autres riches avaient tenté de mettre sur moi pour se donner l'illusion que j'étais leur femme. Oui, c'était assez débile, comme raisonnement, je vous l'accorde. Ou bien ... Ou bien c'était à cause de ces photos, un peu partout, de son sourire angélique avec cette blonde dont le visage doux me hantait profondément. C'était sans doute celle qu'il "aimait". Ou sa soeur, sinon ... En tous les cas, ce n'était pas un visage devant lequel je voulais servir à ses moindres pulsions. Je me retourne alors, voyant une photographie que je n'avais pas vue, auparavant, où ils s'embrassent ... Ils ont l'air heureux. Je souris, faiblement. Si seulement le bonheur se décidait à me choisir, moi, un jour ... Je me promettrais de le mériter, il ne devrait pas avoir peur.

Schmitt me prit alors par derrière, m'embrassant dans le cou, et je fermai les yeux, comme pour avoir aussi peu de choses à me remémorer après ; comme si le manque de vision atténuait le douloureux souvenir de cette nuit passée à ses côtés. Il était plus ardent que d'habitude, ce soir là, d'ailleurs. Plus passionné. Cela faisait davantage mal, du coup, et soupirer de manière suave m'était davantage difficile. Simuler m'était davantage difficile. Mais il le fallait bien, sinon, le patron m'aurait giflée, à mon retour ... Un seul appel mécontent du moindre client, et j'en prenais cher pour mon "grade". Et donc, j'ai joué la parfaite amante pour cet homme, en apparence parfait, tout en étant persuadée que je saignais, à l'intérieur ; comme si mon hymen avait été à nouveau brisé par son ardeur trop spontanée.

La fatigue s'éprit alors de Schmitt, et ses premiers ronflements me prodiguèrent un soulagement qui se transforma en véritable soupir ; un soupir léger, qui indiquait la joie éprouvée après avoir survécu à une si difficile ordalie. Il ne me fallut pas longtemps pour m'assoupir à nouveau, tant exténuée que j'eus plutôt l'impression de tomber dans un profond coma que dans la torpeur des plus profondes. Mes nuits n'étaient ni exquises, ni reposantes, et contrairement aux gentes dames fiancées, je ne m'endormais jamais dans les bras d'un beau Morphée, la tête posée contre son torse, mais sur le côté, le dos tourné face au suintant corps de ces porcs, recroquevillée en une position foetale qui était censée me calmer, d'après les choses que l'on m'avait raconté, "là bas". Mais je ne trouvais pas le repos, cette nuit. Agitée, mes pupilles zig-zagaient au travers de la salle avec une rapidité hallucinante, se reposant toujours, néanmoins, sur cette image qui, ironiquement, tombait pile dans ce rayon de lune. Ce visage souriant d'une femme bafouée contre son savoir. Cela me répugnait au plus haut point. J'étais rongée par une culpabilité profonde, sans avoir le moindre choix, sans être capable de mettre fin à cette aventure malsaine ... Ce n'était pas faute d'en avoir envie, au contraire, mais bel et bien parce que j'avais perdu les clefs de mon destin depuis la mort de mes parents, et qu'à chaque fois que je m'accroupissais pour les rechercher, on me marchait sur le dos et m'écrasait contre le sol.

Éventuellement, je pus m'endormir, dans une fausse sérénité, elle aussi simulée, par mes traits. Mais bon nombre de fois, les cauchemars qui me hantaient me réveillèrent en sursaut, et je ne savais même pas où trouver de l'eau pour tenter de reprendre mes esprits. Je pus cependant me rendormir à nouveau, avant l'aube, n'ayant donc pas de difficultés à perdre "connaissance" dans les chaleureux rayons du soleil. J'aimais le soleil, d'ailleurs, car c'était, en quelque sorte, l'un de mes amis : ce n'était que la nuit que les hommes faisaient recours à mes services, ou presque ... En plein jour, tout se voyait, et personne n'osait. Et cela m'arrangeait.

Un froissement. Je gémis, voyant d'une vue floutée Schmitt sortir du lit, son corps nu se trainant jusqu'à la salle de bains. Je referme des yeux, je me rendors, j'essaie d'oublier le mauvais souvenir de la nuit passée ... Et ce qui semble être un instant plus tard, j'entends des talons claquer contre le sol, et, simultanément, la sensation que des marteaux-piqueurs forent mon cerveau se fait ressentir dans mon corps. J'ouvre à nouveau d'un oeil, puis de l'autre, regardant une femme blonde venir vers moi, et claquer la porte derrière elle ... Ceci me fait sursauter, et je m’assois alors, éprise d'une forte migraine suite à la nuit interrompue et écourtée que je venais de passer. Mon regard se balade distraitement, et avec fatigue, de son visage, à la photographie, prenant cinq bonnes secondes avant de réellement tracer de parallèle entre les deux ... C'est alors que je me mets à hurler, terrifiée, avant de recouvrir mon corps nu et souillé de ces draps de lin blanc.

Elle me demanda alors qui j'étais, et j'étais trop pétrifiée pour répondre. Terrorisée, tétanisée, livide. Je ne savais réellement pas quoi faire, ne m'étant jamais trouvée dans cette situation par le passé. C'était elle. C'était la dame de la photo, encore plus élégante et belle en vrai ... Et pour le coup, je devais vraiment avoir l'air d'une catin, en face d'elle. Je ne voyais que rage, fureur et colère dans son regard, et cela m'effrayait davantage.

- Je ... mais les mots se refusaient de sortir, tant je ne savais comment réagir en cette situation peu conventionnelle.