Je m’amuse à produire de la fumée avec mon souffle tout en attendant le bus pour rentrer à la maison. Il fait vraiment froid et les bras croisés sur mon manteau, je réfléchis à tout ce que je ferais une fois à la maison pour me réchauffer. Je songe à une douche, puis finalement à un bain. J’adorerais même manger un plat commandé ce soir pour pouvoir m’installer avec devant la télé avec une couverture sur les genoux et Ella à côté qui me raconterait un peu tout ce qu’il y’a du y avoir de passionnant dans la journée. Oh oui ! C’est très franchement, le genre de soirée dont on peut rêver quand on attend dans le froid un bus qui a bien dix minutes de retard. Heureusement, ma dose de bonne humeur m’empêche de faire une remarque désagréable à l’adresse du chauffeur une fois ce dernier arrivé à l’arrêt. Une fois assise, je me reprends à penser à ce que je vais bien pouvoir commander. Chinois ? Italien ? J’ai bien envie d’envoyer un texto à Ella mais je n’ai plus de batterie. Tant pis, j’espère seulement qu’elle n’a pas fait de plan sans moi et qu’elle sera là, maintenant que je suis bien motivée à regarder n’importe quoi tout en mangeant des saletés. Le trajet se termine rapidement et j’arrive à bon port. Le temps de remonter la rue vers l’appartement, le temps de monter les escaliers et d’ouvrir la porte. Je ne saurais dire si c’est l’instinct ou tout simplement un genre de connexion télépathique qui se serait créée entre moi et ma colocataire mais, aussitôt que je tourne la clé dans la serrure, je sens que quelque chose cloche et le fait de voir Ella au beau milieu d’un salon vide en guise de « Home sweet Home » et bien ça met la puce à l’orreille sur le fait qu’il serait passé quelque chose. Le salon est vide et c’est assez déroutant. Plus de télévision. Ni de chaîne hi-fi. Les tableaux que j’ai peints et accroché aux murs ont disparu aussi. D’autres trucs sont en morceaux sur le sol. Grand Dieu, que s’est t-il passé ? Je n’ai même pas eu le temps de crier « je suis rentrée ». J’ai commencé à le dire, puis en découvrant le chantier, je me suis tue la bouche grande ouverte. J’observe Ella au milieu du salon qui ne dit rien puis me décide à briser le silence. « Ella ? Qu’est ce qui s’est passé ici ? » Machinalement, je tente de poser mon sac mais il tombe au sol maintenant que le petit guéridon de verre censé le retenir est éparpillé sur le sol. Je comprends ce qui s’est passé et bêtement, j’ai presque envie de détendre l’atmosphère en balançant une petit blague. Ce que je ne fais pas parce que je sais que ça n’est pas le moment. J’avance et m’assied dans le canapé aux côté de ma coloc. Au moins, on a encore le canapé. Puis je me décide à poser la question. « Tu as appelé la police ? »

Je me rends compte pour la première fois de combien cet appartement est immense. Ça n’aurait pas été aussi flagrant s’ils s’étaient contenté de prendre les objets de valeurs mais en plus de ça, il semblerait que nos amis aient également pris un malin plaisir à saccager l’appartement en entier. En gros, ce qui n’a pas été pris a été réduit en miette. Bravo ! Ça c’est du professionnalisme. Je respire un grand coup pour me calmer tout en me résignant au fait que ma soirée devant la télé tombe à l’eau. Je trouve que j’accuse plutôt bien le coup, j’aurais très bien pu me mettre à hurler et taper une crise mais non, je suis sereine. Probablement parce qu’Ella est avec moi et parce que je n’ai pas envie d’effrayer Jonah ; de plus, s’il y’en a une de nous deux qui doit garder son calme, c’est bien moi. Je ne pense pas que cet incident représente le même choque pour moi que pour Ella. " non et ne l'appelle pas s'il te plait " Je lance un regard dubitatif sans comprendre pourquoi ce choix. Appeler la police est peut-être le premier truc à faire non ? Je n’ai pas vérifier ma chambre donc je ne sais pas ce qui me manque, mais je m’imagine suffisamment le pire pour avoir envie que quelqu’un se mette à régler cette histoire. Je ne comprends pas le choix d’Ella, mais je me dis qu’il faut juste le temps d’accuser le coup et de faire une liste de ce qui a disparu. " ils ont tous pris, les choses de valeurs, l'argent, les médicaments ... seule la chambre de jonah est intacte et je n'ai pas été voir la tienne " Evidemment, qui viendrait voler des couches à part un papi incontinent ? A vrai dire, la vue du salon suffit à me donner une idée de l’état de ma chambre. Rien que ça, ça ne me donne même pas envie d’aller vérifier. Certes ma chambre a toujours été un foutoir mais j’ai quelques choses dont la valeur sentimentale équivaut la valeur réelle. J’essaie de ne pas y penser, j’irais vérifier quand on aura appelé la police. « Tu te rends compte qu’il quand même falloir les appeler ? Au moins pour faire jouer l’assurance. Mon Dieu ! Y’en a pour une fortune avec l’électronique et les bijoux. » Je pose ma main sur mon front en faisant le calcul de toutes ces choses disparues. Je ne connais pas le chiffre près, mais c’est beaucoup, ça se compte en milliers je pense. Les bijoux, l’argent, et euh .. les médicament ? « Attends ! Ils ont même vidés l’armoire à pharmacie ? Ils n’espèrent quand même pas monté un labo de meth’ avec ma pilule, l’aspirine et les suppositoires de Jonah ? » Ouais, un truc m’échappe là. En lus, c’est pas tout, je suis crevée et j’ose même pas aller dans ma chambre. J’ai tellement pas envie de découvrir qu’on a saccagé mes toiles, probablement voler celles de grand-père avec les bijoux de grand-mère. « J’ai pas envie d’aller dans ma chambre, j’ai peur de ce qu’on aurait pu me prendre. » Je confie, silencieusement.

Devant le ratage complet de ma soirée peinarde, je me dis qu’il faudrait vite tout faire pour oublier. J’ai aussi envie qu’on parte à la recherche de la bande de fils de p*te qui ont volés nos affaires, ça me prend aux tripes. Je sens que demain, je serais d’une humeur massacrante envers tout le monde. Ce soir, je me contiens. De toute façon, s’énerver contre Ella est chose impossible et je n’oublis pas qu’elle est sûrement plus lésée que moi dans ce cambriolage ; la plupart des choses disparues lui appartenait. C’est aussi pour ça que je me demandais pourquoi elle attendait autant pour appeler la police. Remarque, je ne suis pas mieux à ne pas vouloir voir ma chambre ; mais très franchement, j’ai totalement peur de ce qu’on aurait pu me voler. J’ai tellement de chose de valeur, sentimentale surtout. Autant se préparer psychologiquement. « Je sais oui, mais on peut faire ça demain ? » J’hésite. Normalement, il faut prévenir le plus vite possible et essayer de ne rien changer de place. « Non, demain il sera trop tard. Si on prévient demain, ils ne pourront pas établir l’heure de l’infraction et on peut se faire accuser par l’assurance d’avoir mis ça en place. Mais on peut les appeler plus tard et si tu veux. » J’essaie de faire des concessions, on ne peut pas ne pas les prévenir rapidement.« Si tu veux, j’irais m’occuper d’eux. T’auras qu’à aller chez Celestin quand je les appellerais. Je dirais que tu n’es pas en ville. » Ouais, un mensonge de plus ou de moins t’façon. Ce qui compte c’est de régler cette histoire rapidement. Néanmoins, le fait qu’Ella mentionne le vol de médicaments me surprend. C’est pas deux-trois aspirines qui feront la différence. Seulement quand elle me dit : « Tu me laisse quelques secondes s’il te plait ? » Je me mets à réaliser qu’il y’a quelque chose de grave que je ne sais pas. J’acquiesce en me disant qu’après on pourra appeler la police. Je me dis qu’il faudrait que je monte dans ma chambre également mais là encore, je préfère attendre un peu avant de constater les dégâts. Quitte à être énervée, autant le faire contre un policier qui n’a rien demandé et qui a l’habitude de ce genre de situation. Je patiente sagement sur le canapé du salon jusqu’au retour d’Ella dont l’expression commence à m’inquiéter. « Il … il n’y avait pas que ça dans les médicaments, il y’a plus que ça » Bon, jusque-là, je ne capte pas grand-chose à ce qu’elle cherche à me faire comprendre, juste que c’est grave et que je vais sûrement pas bien prendre la nouvelle. Honnêtement, elle va m’avouer qu’elle cachait de ‘héroïne dans ses placards ? « Je t’ai caché un truc, un truc important parce que je ne voulais pas que ton regard change sur moi ou que toute l’amitié entre nous ne change » Ah ? Je dis rien. Je pige pas trop. Mon dieu ! Elle va m’annoncer qu’elle se drogue et qu’apparemment c’est pas une petite fumette de temps en temps. Mon dieu ! C’est ça, c’est pour ça qu’elle veut pas qu’on appelle les flics. Mon dieu ! Mon dieu ! Je ne dis rien, j’essaie même pas de faire transparaître ce qui se passe dans ma tête mais .. la vache. « Je suis malade … et ce n’est pas la grippe ou un truc du genre » Ah ? Là, on entre dans le moment où en fait, je ne pige plus trop. Peut-être qu’il faudrait que j’arrête de tirer des conclusions beaucoup trop hâtive. « J’ai une leucémie depuis un peu plus de six ans, c’est un cancer du sang » Mes yeux s’ouvrent en grands devant l’horreur de ce que j’apprends. Je me sens d’un coup affreusement coupable de ne pas l’avoir vu plus tôt. Mon expression se fige, la tristesse se lit sur mon visage. Bien plus parce que la surprise parce que très franchement, c’est pas comme si c’était n’importe qui qui m’annonçait une maladie grave. C’est Ella. La sœur que je n’ai jamais eu. Ma seule famille sans doute. « C’est pour ça, que je ne fume pas, que je ne bois pas, que je suis … si sainte comme tu le dis souvent » Je l’entend parler mais je ne l’écoute pas vraiment me détailler ce qui aurait pu me mettre la puce à l’oreille. Depuis quelques minutes, je ne pense qu’à une seule chose : Ella va mourir et je ne le savais pas. Je ne l’ai pas vu. Je n’ai même su fait suffisament attention pour le remarquer alors qu’elle est toujours aux petits soins pour moi. Je suis l’amie la plus horrible du monde. Les larmes commencent à naître au creux de mes yeux sans que je ne cherche à la retenir. A quoi bon ? « Tu vas mourir. » Est la première chose que je dis, c’est plus une affirmation qu’une question. Je sais qu’il faut pas dire ces trucs là mais c’est tout ce que je retiens de ce qu’elle vient de m’annoncer. Le cambriolage, je n’y pense même plus. Maintenant, tout ce que j’ai en tête c’est des questions sur la leucémie. « Comment ça se soigne ? » Je demande sans même lui laisser le temps de dire un mort. « Ca fait partie des cancer doit tu peux guérir hein ? » J’en sais trop rien. Je veux que oui. Je veux pas qu’elle parte. « Ella, pourquoi tu ne me l’as jamais dit ? »

J’ai une approche de la mort assez similaire à beaucoup de personne, j’ai tendance à rejeter l’idée que nous soyons mortel et penser ne serait qu’une seconde à la perte d’un proche m’est impossible. Je ne sais pas ce qui se passe dans ma tête mais pour moi nous vivrons toujours jeune et éternellement sans aucune chance qu’un jour nous nous quittions. Je suis bien naïve, je le sais mais pour n’avoir que très peu connu la mort, je pense que c’est tout juste. L’ambiance d’un coup a totalement viré de bord. J’étais énervée à cause du cambriolage et maintenant je suis juste … Je ne sais pas ce que je suis mais je me sens mal. J’ai envie de pleurer, d’ailleurs je ne parviens pas à retenir quelques larmes mais je ne suis pas de celle qui pleure devant toute une assistance, je pince ma lèvre tout en lâchant quelques mots vers Ella. Comment peut-elle être aussi calme ? « Oui, mais tout le monde meurt un jour » Super ! J’vais me sentir mieux après ça. Elle s’attend à quoi en me disant, à ce que je me relève en disant « ah oui c’est vrai. Bon bah tout va bien alors. » alors que je n’en pense pas un traître mot. Et puis, c’est gentil bonhomme de me le dire que maintenant, ça fait genre « je te laisse m’aimer puis tu me perdras » c’est assez injuste. Sans compte tous les refrains que je pourrais faire concernant son âge et bien d’autre chose. « Oui ça se soigne mais ça ne se guérit pas » Je reste silencieuse. Qu’est ce que je peux répondre à ça honnêtement ? Peu importe ce que je dirais, je sais qu’on lui aura déjà dit avant et que de toute façon, ça ne change rien. Je me sens si … impuissante. Voilà, c’est ça le mot. Je suis impuissante et je n’aime pas être dans la position de celle qui doit regarder les autres souffrir sans rien faire. « Je peux avancer, je vais bien pour le moment mais je peux faire une rechute à tout moment et je suis désolée Nais, désolée pour tout » J’esquisse un sourire qui s’apparente plus à une grimace. Désolée de quoi ? D’être malade ? Je pense pas être capable de lui en vouloir même si me l’avoir caché n’était peut-être pas la chose à faire. Je déteste tellement les secrets ; ce qui est ironique pour une personne comme moi qui ne partage jamais rien mais là n’est pas la question. « J’avais peur, j’étais totalement terrifié et je n’avais pas envie de te perdre ou que tu t’en aille parce que ça fait mal de perdre les gens qu’on aime et j’ai donné pour ça » Je suis bouchée, offusquée. « Non mais, tu n’as quand même pas pensé que j’allais déguerpir parce que tu es malade. Tu crois que je vais faire quoi ? Mes valises ? Je ne bouge pas. C’est juste que … » Les sourcils froncé, j’essaie de ne pas montrer l’inquiétude ressentie. « Ne m’en veux pas s’il te plait, je t’aime tu sais ? » Un souffle nerveux s’échappe malgré moi. Elle n’a pas compris que je ne lui en veux pas, j’ai juste peur. « T’es ma meilleure amie Nais et ne m’abandonne pas toi aussi ... » Et voilà, les larmes vont revenir. « Non mais comment tu peux penser au fait que je puisse t’abandonner ? » Je ne comprends toujours pas, je passe rapidement mon bras sur mes yeux. « Ella, toi et Jonah, vous êtes ma famille. Même pour des millions ou la réalisation de mes rêves les plus fou je ne vous quitterais pas. T’es la sœur que je n’ai pas. Seulement … » Je tente de trouver mes mots, en vain. « Je n’arrive pas à comprendre comment tu peux avoir un tel sang froid. Merde ! Tu viens de m’annoncer que tu es mourante. Demain, tu pourrais très bien ne plus être là, alors ne t’attends pas à ce que je sois ok avec ça parce que je ne peux pas. Tu ne comprends pas ? Ce n’est pas moi qui vais t’abandonner, c’est toi qui va le faire. Et je ne sais même pas quand. » La peur de se retrouver seul. C’est peut-être ce que chaque être humain ressent et ce qui nous cimente, Ella l’avait fait disparaître et maintenant, elle vient tout juste de revenir.

Le fatalisme d’Ella fait sûrement ressortir ce qu’il y’a de pire en moi. Je m’en rends compte mais c’est comme si je regardais une autre personne que moi lui dire ironiquement que tout allait bien puisqu’on allait tous vers la mort. Bien sûr que je ne le pense pas comment pourrais-je alors que j’ai encore du mal à comprendre tout ce qu’elle me dit. Tout est flou, c’est comme si j’avais reçu un gros coup sur la tête. Alors, Ella est mourante, et je ne peux rien y faire. Je peine à le réaliser et très franchement, je n’ai pas envie de le faire ; une fois la nouvelle digérée, je ne penserais sûrement qu’à ça. « Quoi ? C’est la vérité non, personne n’est éternel » J’ignorais qu'Ella aussi fataliste. Ses paroles m’étonnent et me choquent, surtout parce que je l’ai déjà vu en deuil, je sais comment elle est quand elle perd un être cher et qu’à ce moment, il n’y avait pas de « personne n’est éternel » qui tienne. C’est tellement égoïste sur le coup. C’est comme si qu’elle me disait : « J’vais mourir et va falloir t’y faire. ». Je sais que ce n’est probablement pas le message qu’elle essaie de me faire passer mais là, mes capteurs sont brouillés. Je n’arrive plus à comprendre. « Et tu t’attend à quoi ? Que je me rende au fait accompli ? Oui, on est tous mortel donc je devrais prendre hyper bien la nouvelle parce qu’après tout ce sont les choses de la vie. Non mais tu t’rend compte de ce que tu dis ? de ce que tu m’demandes ? » Et voilà, alors que ça des minutes que je me répète inlassablement de ne pas m’enflammer, c’est exactement ce que je fais. Je ne pensais pas qu’un jour ça arriverait, qu’Ella découvre que je pouvais m’emporter facilement dans certaine situation. Je me retourne, incapable de lui faire face, de faire face à son zen alors que je peine à retenir mes larmes et cette foutu boule dans ma gorge. Un revers de la main et j’essuie tout ça. Merde, j’ai le sentiment que tout ça va nous mener à la dispute. « Oh tu ne serais pas la seule à me laisser tomber, c’est presque une habitude » J’ai toujours pensé que ce qui nous avait rapproché Ella et moi, c’était qu’à force d’être délaissées et oubliées par nos entourages respectif, nous avions créé un besoin que seul l’autre pouvait combler, pour moi elle était ma sœur, ma seule famille et jamais je n’avais songé qu’elle puisse pensé que je lui ferais exactement ce qu’on m’a fait. C’est une nouvelle certitude qui tombe ; décidément ce soir, les écailles me tombent des yeux. Je me rassieds, tête dans les mains, je sens la migraine venir. « Et bien non, je ne vais pas partir et il en sera jamais question. Je ne comprends pas que tu puisses t’attendre à ce que je sois d’accord avec ta maladie, mais ça n’est pas du tout une raison qui me forcerait à t’quitter. Sûrement pas. » Je ne comprends pas cette peur irrationnelle. Après, je me dis que je ne connais pas tout du passé d’Ella, comme elle ne connait pas tout de moi. Quoique là, elle a fait fort avec son annonce. « Comment tu peux me dire ça … » Mauvaise formulation de ma pensée mais qu’importe, nous ne sommes pas en train de mener un dialogue pré-construit. Je tente d’exposer mon ressenti même s’il ne passe pas bien. « T’abandonner ? Je ne vais pas t’abandonner Nais, je vais mourir et ce n’est pas un choix d’accord ? Je ne veux pas, je me bats contre ça alors je t’interdis de dire que j’abandonne » Non, c’est une fatalité. Je me retiens de lui rétorquer ce qui passerait pour être méchant. Cette manie de l’être aussi, je dois me retenir car je n’ai jamais voulu l’être avec elle. « Non, tu ne vas pas m’abandonner. Mais à ton avis, je me sentirais comment après ton départ ? Triste et seule non ? C’est pas ça la définition de « se sentir abandonné » ? » Cause différente. Même résultat. « Ella, ça m’a pris des années pour me sentir bien. T’es comme une sœur, vraiment. Ce qui est à moi est à toi mais, j’ai pas envie de me retrouver orpheline à nouveau. » Finalement on en revient là. Toujours ce problème de famille dont je ferais bien de parler à un psy un jour. « Tu n’as pas à être ok avec quoi que ce soit Nais, j’aurais jamais du te le dire … » Je préfère ne pas être d’accord. Etre d’accord reviendrait à dire que je m’en moque hors ça n’est certainement pas le cas. Reste qu’à comprendre. « Non, je préfère la vérité. Même si c’est douloureux. Je t’en aurais voulu de me l’avoir caché. »

Je ne comprends pas. C’est triste. J’aurais aimé comprendre pourtant, pour pouvoir montrer l’amie pleine de soutien que je suis mais je ne peux pas, l’image de la mort est trop floue pour moi. Je n’arrive pas à comprendre et la nouvelle que m’annonce Ella n’est pas de celle que l’on digère en seulement quelques minutes. Le temps viendra, peut-être. Je sursaute lorsqu’Ella saisit ma main, je ne m’attendais pas à un contact, j’suis dans un de ces moments où je me sens comme une poupée de verre qu’un simple touché briserait. Néanmoins, je ne proteste pas et baisse les yeux vers nos mains en l’écoutant « Ce n’est pas ce que je veux. Tu dois le prendre bien parce que j’ai besoin que tu le prennes bien d’accord ? J’en ai vraiment besoin » Je me trouve soudainement égoïste. Egoïste parce que je n’essaie même pas de faire un effort pour bien prendre la nouvelle mais pour moi, c’est tellement inconcevable ce qu’elle me demande que j’ai bien peur de ne pouvoir lui obéir. Toutefois, je pense être dans une de ces situations où mentir reste la seule chose à faire. « D’accord, mais ne m’en veux pas si j’y arrive pas. » Sourire forcé, peut-être que ça ne se voit pas. J’espère. Je n’ai jamais été bonne pour mentir de toute façon. « Tu crois que c’est facile Nais ? Tu crois que ça me fait plaisir de te dire ça et de savoir que plus jamais tu ne me regarderas comme avant ? Que tu auras pitié de moi et que tu vas agir comme si j’étais une petite chose fragile, une gamine mourante … » Elle n’a pas tort même si je ne vois pas dans l’immédiat ce que je changerais dans nos rapports. Disons que maintenant, je n’oublierais pas qu’elle est malade, après la traiter différemment, je ne vois pas en quoi. « J’ai énormément de peine Ella, ce qui t’arrive est certainement la chose plus injuste que j’ai vu dans ma vie, mais je ne rendrais pas ça plus difficile en ayant de la pitié, je ne veux pas vivre en nous rappelant tous les jours que tu es malade. » Ouais, si j’avais envie de me miner le moral tous les matins en me levant, j’trouverais autre chose non ? Enfin, ce que j’essaie d’expliquer, c’est que la maladie ne changera rien dans nos rapports, à part peut-être que maintenant, je serais vigilante. « Je ne veux pas te laisser toute seule tu sais mais ce n’est pas un choix personnel et je dois l’accepter parce que chaque jour je pleurerais, je ne fermerais plus un œil parce que j’aurais peur de ne plus en ouvrir un … Je ne veux pas de cette vie tu comprends ? Je veux être heureuse et profiter de ce que j’ai » Elle n’a pas tort. Elle a même raison et ce qui me tue sur l’instant, c’est que c’est exactement ce que j’aurais dit si j’avais été dans sa situation, c’est ce que j’aurais dit si je n’avais pas encore sous le choc de la nouvelle. Comme quoi, faut jamais parler quand on est pas en pleine possession de ses moyens. Me taire serait sûrement ce qu’il y’a de plus judicieux à faire. « Je comprends. Tu as raison, je suis désolée d’avoir mal réagi. » Je m’excuse. Je n’ai sans doute pas grand-chose à faire à part faire oui de la tête et m’excuser. Je peux aussi éviter d’y penser. « Je t’aime vraiment et tu es ma famille … je ne veux pas te laisser toute seule et je suis … j’ai peur Nais » J’ai peur aussi. Je ne le dis pas parce que j’ai déjà l’impression qu’elle porte le poids du monde. Ce soir, elle se sera déchargé d’une partie de son fardeau. Mes bras l’entourent, la serrent quand elle se jette sur moi. Elle pleure, et je m’en veux. « Tout va bien se passer Ella. La vie continue malgré tout. » Je lui murmure tout en caressant sa chevelure. C’est peut-être dans un moment comme celui-là que mon optimiste à toute épreuve peut se révéler utile. J’ai peur de dire l’énième connerie qui en rajoutera une couche. Je me contente d’essayer de calmer ses pleurs par des gestes tendres. « Je suis désolée de t’avoir menti mon cœur, mais j’ai confiance en toi pour être là, à ta façon mais pour être là et ce n’est pas pour rien que je t’ai demandé d’être la marraine de Jonah parce que un jour, il aura besoin de toi pour aller bien » Je reste sans voix. La peur me gagne si rapidement que je n’ai même pas le temps de m’en rendre compte : la peur de devoir remplacer Ella et de ne pas assurer. Mais il n’y a pas que ça que je ressens à cette instant, je me sens si reconnaissante. Ella me fait le plus beau cadeau : sa confiance absolue. « Quand tu me l’as demandé, je ne m’étais pas rendu compte de ce que mon engagement impliquait. Maintenant que je sais, je me rends compte que c’est la plus belle marque d’amitié qu’on aurait pu me faire. »