Trop de boulot tue, mais il n'y a que dans ce domaine que je réussis pour ne pas dire 'être la meilleure'. Je croise les bras sur mon bureau, quitte à m'assoupir quelques secondes. Oui, juste quelques secondes. Pas plus, promis et je retourne bosser. Je donnerai cher pour pouvoir me changer les idées. Sortir prendre un verre, par exemple. Mais je n'ai même pas le courage de chercher mon téléphone sous mon bordel afin de savoir quelle personne de mon répertoire serait disponible. Sinon, il y a l'option du moment : manger des sushis pelotonnée sur mon canapé face à un film. Bref, n'importe quoi qui n'a pas de rapport avec le boulot ou mes tracas personnels. Et puis parfois, la chance est de votre côté. Quand la flemme vous a envahit, ce sont les bons plans qui viennent à vous. Je vous jure. C'est un tremblement de terre sur la plaque de verre qui me sert de bureau. Venant tout juste de terminer ma tasse de café, nous évitons de peu un ras de marée. Je soupire et décroche juste avant que la personne de l'autre côté ne tombe sur une boite vocale que je ne consulte jamais et qui doit certainement saturer depuis le temps. « Sephora ? C'est Camille. Excuse-moi de t'appeler si tard... je suis terriblement gênée. » Camille ? Camille ? Laquelle ? Je reste sceptique jusqu'à ce que je mette un visage sur cette voix. Je me retrouve soudainement propulsée à quelques semaines de là. Une soirée caritative des plus passionnantes où je fais acte de présence à cause de mon nom de famille ainsi que de ma jolie carte de visite et de mon discours bien rodé, armes absolues des publicitaires de mon genre. Je me souviens bien de cette petite blonde. Même cercle familiale, même quartier. « Mmh, j'espère que tu vas bien. Je voulais savoir, si tu faisais quelque chose ce soir ? Je me disais qu'on pouvait se voir... enfin si tu n'as vraiment rien à faire. » Que demande le peuple ? C'est carrément mieux quand les propositions viennent à vous directement, non ? Un sourire se dessine sur mes lèvres. Innocente comme toujours à ce sujet, je suis à mille lieux d'imaginer les réelles intentions de Camille. Je ne retiens que son « faire quelque chose ce soir. » Je jette un coup d'œil à l'horloge de mon ordinateur. Ça devrait le faire. « Évidemment, tu me laisses trouver un taxi ? Je ne devrais pas être longue. » Finalement, même pas besoin d'un taxi, Camille vient directement me chercher. Pendant une seconde, je me demande si je ne suis pas en train de rêver. Je souhaite une bonne soirée au dernier encore présent et avec qui je partage mon bureau avant de me faufiler dans le « taxi » le plus ponctuel et rapide de ma vie. « Prête ? On va bien s'amuser.» J'esquisse un sourire, quelque peu timide, alors que je boucle ma ceinture. Je voudrai bien rire, mais je ne sais pas exactement à quoi m'attendre dans le fond. « J'y compte bien.» Vraiment à mille lieux de croire que je vais finir bonne à ramasser à la petite cuillère et avec des courbatures partout.

Bien que je ne fréquente plus cet établissement, ou d'une façon général ce genre d'établissements, depuis... un paquet de temps maintenant, il y a toujours des visages récurrents dans les soirées parisiennes. J'en croise quelques uns, j'en suis également un à priori sans en être consciente. On m'enlace au passage, en guise de bonsoir, sans que je ne comprenne quoique ce soit, sans parfois que je reconnaisse les personne et on s'occupe même de mes affaires sans que je n'aie besoin de supplier du regard pour le passage au vestiaire. Je frôle la crise d'angoisse à la suite de tous ces petits détails. « Je vais te présenté des amis, ne t'inquiètes pas ils sont adooorables ! » Je l'entends mal. Amis ? Adorables ? Vraiment aucune raison de se méfier. Vraiment trop naïve ma pauvre fille. Vraiment. Au point où l'on devrait organiser un concours de la nana la plus naïve, à tous les coups, je vais faire parti du top ten. Un peu, beaucoup, comme une sainte. Et rien dans leurs sourires ou comportements ne trahit de côté malsain. Je suis tombée droit dans le panneau sans le savoir. « Sephora, je te présente Maxime, Hugo, Aurélie... » Des noms ? Je grimace, jamais je ne m'en souviendrai. À tous les coups, cela finira par des toi, toi, toi et puis voilà. Ou des gestes, le langage universel. Et puis personne n'en tiendra rigueur, nous risquons tous de finir dans le même état, à des échelles plus ou moins différentes. « Tu veux boire quelque chose, peut-être ? » Oui. Oui. Et encore oui. Non pas que je tienne à passer pour l'alcoolique du coin, mais s'ils tiennent à ce que j'aille danser un peu avec eux toute à l'heure, je vais avoir besoin d'aide. C'est bête de présenter les choses ainsi, mais l'alcool et moi cela fait dix, quant aux boîtes de nuit pleines à craquer, je les évite depuis un bon de temps. C'est toujours plein à craquer de publicitaires, jeunes ou moins jeunes, cocaïnés jusqu'à la moelle, de veritables clichés sortis tout droit des livres de Beigbeder. J'acquiesce en guise de réponse, sans préciser ce que je souhaite prendre. Je ne suis pas compliquée en temps normal et je doute que ma voix porte assez pour que Camille puisse m'entendre. Déshydratée par la chaleur de la salle, je finis mon premier verre rapidement. Un second suit, puis un troisième. Quelque part, je noie également mon chagrin. Il redevient un étranger, ça me chagrine. Noyée les miettes de nous. Il ne me restera plus qu'à demander un chat à mes proches pour Noël afin de ne pas finir seule au monde. Après quoi, j'arrête toujours de compter, les mathématiques n'ont jamais été ma dose de thé. Finalement, je serai celle qui traînera Camille et quelques uns pour danser. J'aurai peut être du manger un morceau avant de quitter le bureau toute à l'heure. Naïve et déjà bien inhibée la fille.

Je jette quelques regards supplémentaires aux personnes autour de nous et bien que nous appartenons à un même cercle, je me suis toujours tenue à une certaine distance de ce genre de vie, sans pour autant rester dans cet hôtel particulier familial, bien trop doré. Pas trop de conneries en sommes, mais pas trop bisounours, non plus. En bref, je suis pas mal sortie par le passé, j'ai pas mal bu aussi, mais je n'ai jamais fumé un joint par exemple. Cela m'aurait peut être évité quelques crises d'angoisse, en y repensant. En fait, il s'avère que cette nouvelle virginité est récente, après avoir pas mal déconné quelques mois plus tôt, cela ne pouvait pas me faire de mal. Sauf que Camille semble décidée à vouloir me traîner dans le sens inverse. Et pas qu'un peu même. « Doucement avec la boisson. » Je lui jette tout juste un regard, sans rien rétorquer. Pas question de me montrer méprisante, mais je n'ai pas tout entendu avec le bruit qui règne. Cela ne doit pas être d'une grande importance. Je le termine, loin de penser que Camille y a discrètement fait son petite mélange personnel. Déjà que je ne tiens pas l'alcool seul... « Allons danser ! » Je la suis, grand sourire aux lèvres. Je vais bien. Je suis là. Je ne suis pas là. J'ai la sensation de marcher sur du coton, sauf que je ne titube pas et que mes jambes s'avèrent encore capable de maintenir debout. Je ne sens plus mes bras. Je vole. Oh oui, je vole. Bordel, qu'est-ce qu'il y avait dans ce foutu verre ? Promis, c'est la première et la dernière fois. Pour cette soirée. Pour tout le reste de ma vie. Cela aurait presque pu être un paradis artificiel. Sauf qu'avec tout ça, la musique me parait être beaucoup trop forte et le peu de lumière dans la boîte... ça aussi c'est trop. Je me sens si seule et isolée à la fois, alors qu'il y a du peuple tout autour de moi, si bien que j'arrive à me sentir étouffée en même temps. La chute ne sera certainement pas cool, mais profitons en attendant de finir aux toilettes à vomir mes tripes. Non, je ne tiens pas à terminer les cuisses ouvertes. Je touche assez le fond comme cela. Et puis, j'ai perdu Camille de vue. Cela ne rassure pas des masses. J'en ferai presque une énième crise d'angoisse. Je ne connais personne ce soir alors que d'habitude je suis greffée à Celim. « Camille ? » Au bout de quelques heures, je finis par partir à sa recherche tout en me débattant avec le peuple quasiment en transe. L'effet de ce qu'elle m'a donné à mon insu commence à s'estomper. Je suis de nouveau capable de réfléchir par moi-même, récupérant un début de migraine par la même occasion. Impossible de remettre la main sur la tête blonde, je termine sur la banquette où étaient ses amis plus tôt.