MAI 2006 • VENDREDI APRES-MIDI Un bruit métallique qui rappelle le claquement d'une porte et tu sursautes, effrayée, comme prise en flagrant délit. Les yeux écarquillés, tu te souviens douloureusement que t'es toujours coincé entre les murs du lycée et qu'il te reste au moins quatre bonnes heures et deux contrôles avant de pouvoir quitter. Triste réalité. Et pour le moment, tu te coltines les bavardages de ta sois-disant « meilleure amie » qui te raconte en détail sa dernière séance chez le coiffeur comme si ça pouvait t'intéresser. Sérieusement ? Tout ce que t'as envie de faire c'est de lui balancer des « ferme ta gueule » en pleine tronche mais tu te contentes de hocher la tête et de faire mine d'être intéresser. Bref, de la jouer hypocrite à fond. Tu balances des « hun-hun » une fois de temps en temps pour faire genre alors qu'au fond tu t'en fous comme de l'an quarante de son bain américain. D'ailleurs, t'sais même pas c'que c'est. Tu te demandes toujours c'que ça peut bien être lorsque tu lèves la tête et que tu croises un regard qui t'es pas si inconnu que ça. T'aurai aimé esquisser un sourire, lever les yeux au ciel ou souffler mais tu es Julija Devereaux, la garce de service et sourire à la « paria » du bahut, serait prit comme un signe de faiblesse de ta part. Alors tu fais ce que tout le monde attend de toi : en un instant tu retrouves ton masque de Julija, la garce et tes lèvres esquissent un sourire féroce presque carnassier, digne d'une tigresse. A pas de félin, tu t'avance vers la fille, Géraldine Delauney et tu l'encercles avec ta bande de gosse de riche jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un fin espace entre-vous. La fille a l'air un peu perdu et effrayé à la fois. Ses joues sont roses et elle est ses formes, ses rondeurs font qu'elle est devenue la paria du lycée. Au moment où tu ouvres la bouche, tu regrettes déjà tes paroles parce que cette fille elle est comme toi. Boulimique. Mais t'as honte alors tu t'en prends à plus faible que toi. « Regarde qui est là ! Gélatine. Oooh pardon, j'voulais dire Géraldine. Parce que c'est bien ça ton prénom non ? » Ton cercle d'amis ricanent et tu t'sens plus minable que jamais lorsque tu la vois courir vers les toilettes. T'es une garce, Julija, une moins que rien. T'es simplement pathétique.

MAI 2006 • VENDREDI APRES-MIDI • quelques heures plus tard Danser, chanter, parler seule, téléphoner à un inconnu, tout ça pour finir dans la cuisine à bouffer des cochonneries sans pouvoir s'arrêter. Des efforts en vain parce que maintenant tu te retrouves par terre dans ta propre cuisine à manger tout ce qui te passe sous la main sans pouvoir t'arrêter. Ça fait deux heures que tu es arrivés à la maison, prétextant une grippe pour pouvoir t'échapper chez toi pour une nouvelle crise que tu as tenté malgré tout de contrôler. Ça fait la deuxième depuis ton arrivée et déjà une vingtaine de sachets de cochonneries entamé. La maison est vide de monde, il n'y a que toi et ta boulimie qui te tient compagnie. Ton père travaille, tes frères et soeurs sont en cours et ta mère... Ta mère, ça fait belle lurette qu'elle a quitté le pays pour s'enfuir avec un connard. Ça fait belle lurette qu'elle a cessé d'exister à tes yeux, depuis le jour où elle est partie avec son bâtard. T'as plus eu de nouvelle d'elle et c'est tant mieux. Depuis, toi et ta famille êtes solidaires et les secrets n'existent plus. Enfin presque. Evidemment, j'parle pas des petits secrets du genre « Raphaël sort avec une fille mais il veut pas nous la présenter » J'parle du genre de secrets style le tien, Julija. Tôt ou tard, ta famille apprendra et ce jour viendra peut être plutôt que prévu. Sucré, salé, gras, tu t'en fous, tout ce qui te tombe sous la main tu l'avales direct au point de ne plus avoir de souffle. Tu ne peux plus t'arrêter, c'est plus fort que toi. Ton rythme cardiaque s'élève, ta bouche est sèche et t'as des bouffées de chaleur. C'est comme si tu brûlais de l'intérieur. Tu transpires tellement que ton t-shirt en devient presque mouillé. Tout tourne autour de toi, t'as cette impression d'être ivre mais pas d'alcool. Ivre de bouffe.

MAI 2006 • VENDREDI AU SOIR Tu t'retrouves dans ta salle de bain avec ta bouteille d'eau brûlante que tu avales pour vomir tout ce que tu as ingurgité. C'est plus fort que toi. Tu bois le liquide brûlant d'une traite et tu répètes cet opération au moins cinq fois. Cinq fois tu vomis. En fait, tu t'arrêtes seulement lorsque ce que tu dégueules soit aussi blanc que l'eau des toilettes. Mais t'as encore l'ventre vide après alors tu recommences à manger, encore et encore. Puis à répéter encore et encore. Putain d'cercle vicieux

SEPTEMBLE 2007 • HÔPITAL A PARIS Tu n'oses pas lever les yeux vers ton grand-frère. Tu as honte et peur en même temps. Peur de leur réaction et honte de ta boulimie. Tu sais pas quoi dire, lui non plus. Le silence devient pesant et t'as bien le sentiment que tu vas craquer et te mettre à chialer d'un moment à l'autre. « Pourquoi Julija ? Pourquoi t'as rien dit hein ? Depuis combien de temps ça dure putain ? Tu nous l'aurais dit au moins ? J'aurai voulu que tu nous le dise plutôt que de l'apprendre par l'hosto ! Tu veux que je te dise à quelle point on a eu - j'ai eu la frousse quand ils m'ont appelés ? Et putain répond ! » Cette fois, tes yeux sont remplis de larmes et tu te caches derrière tes mains. Tout ce dont t'as envie c'est de t'exiler au fin fond de la terre pour que jamais on te retrouve. La honte te submerge et t'aurai aimé répliqué quelque chose comme : « Et tu crois que c'est facile hein ? J'avais honte, O.K !? Tu pensais que j'allais où quand je sortais tout les mercredi ? J'ai essayé, tu vois ? J'ai cru que j'allais m'en sortir tout seule et que j'aurai pas besoin de vous... » sauf que les larmes coulent sans qu'on puisse les arrêter et tu n'arrives pas à aligner une phrase correct. Tu entends un soupir et finalement, des bras te serrent. Désespérément, tu t'accroches à son t-shirt qui devient rapidement mouillé par tes larmes.