MEMENTO :

- A trouver : Eros et Psyche d’Apulée.
- Relire l’Instinct du Langage de Pinker.
- Acheter un paquet de mouchoirs
- Changer de portable et de 06.
- Ne pas oublier : cours de tennis (jeudi à 18h)
- URGENT : faire réparer le piano !!

Il n’est pas comme les autres garçons de son âge. Les soirées, il n’y va pas. Les filles, il ne les regarde pas… Ou tout du moins, il ne les regarde pas comme il le devrait. Il ne les envie pas, il ne les désire pas, il n’éprouve rien de charnel pour elles. Il n’a jamais connu les joies de se retrouver dans le même lit qu’une jeune fille. Jamais, il n’a connu le vice de la luxure. Des histoires d’amour, des amourettes, il n’a pas connu. Alors que tous les jeunes de son âge cherchent à fuir le cocon familial, lui, il vit encore chez parent, malgré sa petite vingtaine. Il s’y sent bien dans sa petite maison. Là au moins, il s’y sent en sécurité, là, ses peurs s’effacent. Sa mère lui achète encore ses habits et paires de chaussure. Il n’a jamais su prendre de grandes décisions seuls, même les décisions les plus banales… Il est encore un enfant, il le sera toujours d’ailleurs. Cela est peut-être dû à son corps sec et juvénile.

PLAYLIST DE SOA

- Mon manège à moi (tu m’fais tourner la tête), edith piaf
- C’est d’la faute à tes yeux, edith piaf
- Let there be love, melanie c
- Skinny love, bon iver
- Blackbird, the beatles
- RUN RUN, those dancing days
- EUPHORIA, LOREEN
- …

La musique adoucit les moeurs, dit-on. Elle adoucit les siennes, celles de Soa. Depuis son plus jeune âge, il joue du piano. Un magnifique piano à queue prône royalement dans le salon familial, d’ailleurs. Il y joue dés qu’il le peut, le plus souvent possible. Il y joue lors d’un moment de blues, de spleen… Son piano, son échappatoire. Ses parents auraient voulu le voir aller au conservatoire de musique, ils auraient été si fiers de lui. Mais c’est une toute autre voie qu’il a choisi pour ses études.
Quand je serais grand, je deviendrais rêveur, avait-il si naïvement dit. Rêveur. Quel doux songe pour un enfant. Mais être grand, qu’est-ce que cela signifie pour un gamin à peine haut comme trois pommes. Soa n’est pas grand lui. Il a toujours été ce grand rêveur, un peu la tête dans les nuages. Il est ce garçon naturel, attachant et renfermé sur lui-même. Mais cela, vous ne le voyez pas… sûrement parce que vous êtes bien trop occupé à vous moquer de lui. Les moqueries et les injures, il les subit, il les encaisse… c’est peut-être cela qui le rend si fort.

VOUS AVEZ REÇU 4 NOUVEAUX MESSAGES. MESSAGE REÇU LE 26 OCTOBRE A 17H. – Genre, c’est vrai, t’es puceau ? (rire). MESSAGE REÇU LE 27 OCTOBRE A 11H. – Mon poussin, c’est maman ! Tu pourrais passer après ton cours chez le fleuriste, récupérer la commande de fleurs ? REÇU A 13H45. – Soa ? Bordel, t’es passé où là ? Ouais, c’est Marie… enfin t’avais deviné ça. Ca fait plus d’une demi-heure que je t’attends là. Allo la lune ! J’te rappelle qu’on avait prévu de manger ensemble ! Dois-je supposer que tu t’es encore filé ? T’abuuses, sérieux. REÇU A 14H30. – Bonjour monsieur Rimbaud. Je vous appelle pour vous prévenir que nous avons bien reçu votre commande. Vous pouvez venir récupérer les livres dés à présent. Au revoir.

Assis sur ce long quai infini. Les mains posées sur ses genoux cagneux cachés par son jean. Le petit homme regarda songeusement le flot paisible de la Seine. Un léger courant d’air vint le gifler, le réveillant quelque peu et il finit par s’emmitoufler un peu plus dans son épaisse écharpe de laine. Sa bouche laissait s’échapper une petite fumée à chacune de ses respirations. Silencieux, sans un mot. Il ne bougeait plus. Le tableau se peignait petit à petit sous nos yeux. Je vous laisse imaginer la suite… Mais regarde-moi, lâcha une voix venue du firmament. Regarde-moi, Soa, s’essouffla-t-elle. Soa. C’était son prénom. Celui de ce petit homme que vous épiez du regard depuis quelques minutes. N’avez-vous pas honte de le regarder si indiscrètement ? Regardez-vous. Avide de curiosité afin d’en savoir plus sur ce petit gars dont tout le monde ignorait son prénom jusqu’à présent. Le petit homme leva la tête, cherchant partout la provenance de cette si mélodieuse voix. Et son regard se perdit une nouvelle fois sur ces vagues qui valsaient. Il observa longuement son reflet dans cette eau trouble, comme Narcisse l’aurait fait auparavant. Mais lui, Soa, n’avait rien de Narcisse. Ni son nom, ni sa personnalité, ni son physique. Lui n’était que le triste opposé dudit Narcisse. Un soupir s’échappa de sa bouche lorsqu’il vit son juvénile visage dans ce tragique reflet. Un visage d’enfant, un sourire inexistant, un corps bien trop frêle et une musculature inexistante, il en était presque rachitique. Il n’avait pas un physique flatteur, mais c’est ainsi. Soa grandissait dans son corps d’enfant, qui ne se métamorphosera jamais en corps d’adulte. Jamais ne ressemblera-t-il pas à un homme, un vrai, comme ce concept futile inventé par la gente féminine. Soa continuera perpétuellement à graviter autour de sa sphère personnelle, autour de sa petite planète. Ce petit monde à lui inaccessible... Mais regarde-toi, Soa. Regarde-toi de plus prêt. Reprit la mystérieuse voix. Soa se contenta de cligner des yeux, croyant, pendant un instant, rêver. Ou bien à une farce de l’un de ces infâmes jeunes. Il leva de nouveau la tête, épiant cet environnement nocturne qui l’entourait. Mais rien. Il n’y avait rien d’autre que lui. Seul, il était. Seul, il était encore. Et dans ce lourd silence noir, le petit homme crut percevoir un air des Beatles au loin.

Blackbird singing in the dead of night, take these broken wings and learn to fly chantait la mélodie.

Il posa son regard en direction de la voiture qui laissait émaner ce son. Hallucination sonore. Ce n’était que le tambourinement criard de ce qui se disait être le tube du moment, c’était devenu ça la musique : un rythme, des paroles insensés traduisant les maux de cette jeunesse foutue d’avance. Le silence régna furtivement une nouvelle fois. Alors était-ce donc cela être seul ? Se sentir impuissant face au silence qui imposait sa présence ? Certainement. Sans un mot, ses yeux portèrent attention au rivage opposé. Et un frisson vint lui parcourir le long de sa colonne vertébrale. Il frissonnait. Certainement de froid. De peur aussi. Peur de se retrouver dans un tel endroit. Il savait bien qu’ici, il n’était pas en sécurité. « Hey ! » s’exclama une nouvelle voix. Elle. Il ne la connaissait. Ou tout du moins, il ne reconnaissait pas cette voix. Impassible, il n’osa pas se tourner vers son interlocuteur. Lorsque la main de cette nouvelle venue se posa sur son épaule, il sursauta… de peur, puis leva le regard vers cette fille dont il ignorait le prénom, l’identité. Il fronça des sourcils, comme si cette piètre mimique faciale allait l’aider à retrouver son nom. Il aurait voulu que cette fille soit Marie. Il l’aurait tant voulu… « Qu’est-ce que t’fous là, tout seul ? continua-t-elle, avant de s’installer au côté de Soa. Tu t’rappelles de moi ? ». Soa écoutait d’une oreille rêveuse les dires de cette sombre inconnue. Ce qu’il faisait là ? Il n’en savait rien, il ne savait plus… Il se demandait comment ses jambes avaient fait pour le mener jusqu’ici. Il ramena ses jambes vers lui et les encercla à l'aide de ses bras fins, posant son menton sur ses rotules pointues. Il ferma les yeux quelques secondes, quelques minutes, quelques instants...
Et il y eut quelques images qui se figèrent dans son frêle esprit… Il y avait cette fille, qu’il avait connu grâce (ou à cause) à ses parents, c’était Ana, ou quelque chose qui ressemblait à cela, il y avait des gens, beaucoup de gens, beaucoup d’inconnus même, il y avait du bruit, beaucoup de bruit, trop de bruit. Ca suintait l’alcool, le shit et la baise, ça puait la débauche. Tous ces jeunes ne menaient plus la danse, c’était l’alcool qui menait la danse, et divinement bien. Il avait réussi à se tirer de cette soirée, tel un petit lapin aurait fuit à la vue du rusé renard. Lui, le petit gars sans histoire, le petit gars banal dont tout le monde ignore l’existence, se retrouvant dans ce melting-pot d’une vieille jeunesse meurtrie par leurs maux et sans avenir. S’il s’était retrouvé dans cet enfer luxurieux, c’était de sa faute. De sa faute à elle. A Ana, puis à sa mère aussi. Sortir, s’amuser, faire une soirée, ça te changera les idées, avait dit madame Rimbaud à son fils.

– Alors, c’est toi l’pote d’Ana, Soa, c’est bien ça ? Oh attends… Un verre ? Allez, prends ça ! La potion d’Obelix, comme on dit ! Avec ça, tu vas prendre des forces ! Alors comme ça, t’es dans la même classe qu’Ana ? – … Euh non… pas vraiment. – Oh ‘scuse l’ami. C’est c’que j’avais cru comprendre. T’fais quoi alors dans la vie ? – Euh… j’suis étudiant. – Ah ouais, c’est bien ça ! Les ambiances olé-olé, t’connais alors. C’est le must du must là, t’as vu. Enfin, t’vois toutes ces nanas ? Tu peux toutes les toucher, sauf une. La p’tite black là-bas, c’est ma meuf. Donc bon, t’évites ! Sinon, t’es plus mon pote… (rire) – Ce serait dommage de gâcher une si belle amitié, en effet…

Extrait d’une conversation entre un inconnu et Soa au cours de ladite soirée.

« Eh ! Mais tu m’écoutes quand j’te parle ? » haleta sa compagnonne de fortune. Les images, les pensées, les sensations cognitives semblèrent se bousculer dans l’esprit de Soa. Le regard triste, il l’observa. Il inclina légèrement, très légèrement, la tête afin de pouvoir l’examiner un peu mieux. Elle était dotée de cette beauté extraordinaire cette inconnue, d’une beauté si intrigante, si curieuse, si fascinante. Elle n’avait pourtant rien de cette poupée anorexique que tout le monde enviait, de cette poupée que tout le monde voulait, elle était belle… à sa façon. Le petit homme cligna des yeux, et finit par hausser des épaules. Sa bouche s’entrouvrit pour laisser s’échapper quelques sons, mais rien n’y sortit. Il aurait bien voulu lui dire qu’il ne l’écoutait pas, de lui dire un « non », qu’il s’en fichait de ce qu’elle pouvait bien lui dire… Il aurait bien voulu, mais il ne pouvait pas. Il n’en avait pas la force. Il n’était pas bien courageux. Non, il n’était pas lâche, ni hypocrite. Il avait juste peur… peur de la blesser.
« Je… Je dois y aller, désolé. » finit-il par dire très brièvement.
Il se redressa précipitamment et tenta de fuir aussi vite qu’il le pouvait. La nuit, à lui, ça lui faisait peur. Et sans se retourner, il s’enfonça dans l’obscurité citadine.

PHRASES QUE LUI REPETENT SOUVENT SA MERE :
- Ne parle pas aux inconnus,
- Ne rentre pas trop tard,
- Finis ton assiette !
- …