Un jour, on se rend compte du gentil bonhomme qu'on a été.
C'était la réaction que j'avais eu il y a quelques jours en recontactant Claire, sans vraiment savoir pourquoi. Finalement, c'était bien le contraire, je savais exactement pourquoi : je voulais savoir si j'étais père. Bien entendu, je ne lui avais pas présenté ça de cette manière pour ne pas la blesser, je ne savais pas les sentiments qu'elle pouvait encore avoir pour moi et je ne voulais pas qu'un blocage s'installe entre nous.
Nous avions donc convenu d'un rendez-vous, dans un café, pour ces étranges retrouvailles. Le café Oz avait été notre choix, pour aucune raison particulière, du moins à ma connaissance. J'avais eu une grande difficulté à choisir ma tenue, ni trop habillée, ni trop homme-perdu - ce que j'étais depuis un certain temps. J'avais donc choisi finalement une tenue sortie de l'imagination de Tahlia, celle pour les "moments difficiles".
Ponctuel comme à mon habitude, je faisais pourtant le trajet du métro au café d'un pas très lent, fumant comme la dernière clope du condamné. dans quelques minutes, j'allais être fixé, peut-être même était-elle venue avec lui - ou elle. Le stress montait à chaque pas que je faisais me donnant soudainement l'envie de reculer et d'aller boire une bière à la terrasse d'un pub.
Mais quelques soient les raisons qui me passaient par la tête, la curiosité prenait le dessus. Je voyais la terrasse qui se rapprochait. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. J'étais devant le café.
J'entrais et m’arrêtais sur le tapis. Je scrutais la salle à la recherche de Claire. Je tombais sur sa table, elle avait le regard baissé sur sa table. Elle releva soudainement la tête et nos regards se croisèrent. Cela faisait quasiment un an que je ne l'avais pas vu, et elle n'avait pas changé. Un semblant de chaleur remonta brièvement en moi, vite éteint par l'absence d'une seconde personne à la table. J'esquissais un sourire et m'avançais vers elle, d'un pas lent. “Bonjour !” Je m’asseyais en face d'elle, ne sachant pas comment commencer la conversation. “Comment ça va depuis tout ce temps ?”

Elle semblait bien, quoi qu'un peu déstabilisé par mon apparition fantomatique. “Tout va pour le mieux, je vais à l’université et même si c’est dur, je m’en sors comme je peux. Et toi ? Depuis… Presque un an ?” Elle était calme même si elle fuyais mon regard. Moi, j'étais soulagé mais un peu déçu. A présent, je ne savais plus vraiment ce que je faisais ici, ps d'enfant à l'horizon, pas de raisons de la revoir. Pour ne pas éveiler quelque soupçon que ce soit, j’appelais la serveuse et commandais. “Un thé Earl Grey, s'il vous plait.” Me tournant vers Claire, je lui demandais sa commande. “Tu veux quelque chose ?” Aucune réponse. “La même chose pour elle.” Elle semblait prise dans ces pensées, regardant ses ongles avec attention. Ils n'étaient pas manucurés comme ceux de la plupart des filles que je fréquentais. C'était cette simplicité et cette fraicheur qui m'avait plu chez elle. Je pouvais rester moi-même avec elle, pas de codes à respecter, un simple amour de gamins qui se racontent qu'ils partiront au bout du monde ensemble. Nous n'étions jamais parti au bout du monde, Porte de Vincennes avait été notre plus long voyage. Elle était restée très mystérieuse sur sa vie et encore aujourd'hui, je ne savais pas grand chose sur elle. Contrairement à ma vie qui pouvait être étalée dans la paperasse mondaine.
Elle releva soudainement sa tête, comme sortant subitement de ses pensées et se remémorant mon existence. Je lui souriais, un peu bêta sans doute. “Je t'ai pris un thé Earl Grey. Ça te va ?” Oui, je ne savais plus du tout ce qu'elle aimait. Mon cerveau avait mis en place un certain mécanisme d'auto-défense à ma fuite. Son existence avait été totalement effacée de ma tête jusqu'à son dessert préféré pendant huit mois. Et cela avait commencé à refaire surface au moment supposé de son accouchement, comme une horloge biologique programmée pour m'annoncer que c'était aujourd'hui le début des nouvelles responsabilités. “Tu n'as pas changé depuis un an. Ma vie n'a pas changé non plus tu sais, même parents, même fac, même emploi du temps. Une routine désespérante.”