Est-ce du courage ou de la pure folie ? Sephora s’arrête quelques secondes en plein milieu de sa course dans les escaliers. Elle n’a pas plus le choix que cela. Elle devait les voir le plus vite possible après son arrivée. Albane et Emma. C’est un peu une promesse qu’elle s’est faite dans le train du retour. De toute façon, elle n’est pas capable de rester bien longtemps dans cet appartement. Et puis connaissant Albane, il n’y a pas plus de danger que cela. Ça va hurler quelques minutes, elles vont également pleurer et… les choses finiront par rentrer plus ou moins dans l’ordre. Elle en est certaine. Ce n’est pas l’accueil des plus froids de Siem qui va la rendre réfractaire. Assise sur les marches, la jeune femme se prend la tête dans les mains. Faire tout à l’improviste, elle ne maîtrise pas encore. Regardez, elle n’a pas vérifié si Albane vit toujours dans cet immeuble, pas même dans le hall de celui-ci sur les boîtes aux lettres. Postée maintenant devant ce qui était la porte de chez sa cousine, Sephora cligne plusieurs fois des yeux. Comment s’y est-elle rendue ? Et ça fait longtemps qu’elle attend ainsi ? A-t-elle déjà fait signe de sa présence ? Elle prend une profonde inspiration et commence à faire les cent pas devant la porte pendant que les voisins la dévisage un peu comme une pauvre folle qui a du s’échapper de Sainte Anne. Doigt sur la sonnette, la jeune femme pose son front sur la porte. « Dis moi que t’es toujours là mangeuse de gaufres…. »

If happy ever after did exist, I would still be holding you like this. All these fairytales are full of shit, one more stupid love song I'll be sick. Albane baissa le son de la radio tout en berçant Emma qui ne s'arrêtait pas de pleurer. Elle ne savait absolument pas ce qu'elle avait et ça commençait tout doucement à l'agacer. « Bon sang Emma, calme-toi ! Qu'est-ce que tu as, hein ? Pourquoi tu pleures ? » Et ça n'en finissait pas. Le visage rouge vif, humides de larmes, Emma hurlait son mécontentement à la face du monde. Et évidemment il fallait que quelqu'un se mette à sonner à la porte à ce moment précis. « Arrête de pleurer chérie... Arrête... CA VA PUTAIN J'ARRIVE ! » En soufflant bruyamment, elle se décida enfin à aller ouvrir à son visiteur. Ah. Sa visiteuse, pardon. La petite brune eut un moment de flottement devant la jolie rousse qui lui faisait face. Même Emma en arrêta de pleurer aussi soudainement qu'elle s'était décidée à hurler et adressa un sourire humide à la nouvelle venue. « Euh... » Elle fronça les sourcils. Le visage ne lui était pas inconnu. Pas inconnu du tout. « Sephora ? »

Les cris, les pleurs. Emma. Albane qui perd patience. Elle est au bon endroit, au mauvais moment. « Arrête de pleurer chérie… Arrête… CA VA PUTAIN J’ARRIVE ! » Son cœur se serre. Elle a quoi devant elle ? Juste quelques secondes pour s’échapper de nouveau et faire la morte quelques semaines ou quelques mois de plus. Elle ne doit plus être à ça près. Le sentiment de ne pas être la bienvenue après tout ce temps. Mauvais moment. Mauvaise idée, dans le fond. Sephora n’arrive même pas à déglutir. Les larmes montent aux yeux et la porte s’ouvre enfin lui faisant perdre l’équilibre. « Euh… » Pas de drame, elle ne s’est pas retrouvée à plat ventre sur le pas de la porte. Cependant, la jeune femme peut commencer à paniquer en croisant le regard d’Albane. Et maintenant j’dis quoi ? Stoïque. Blême. « Sephora ? » Oui, il y a du changement. C’est voulu. Un timide sourire à l’idée qu’elle l’ait reconnue. En tout cas, elle, elle n’a pas changée. Fatiguée, certes. Mais c’est ça la vie d’une jeune mère. Et puis, il y a Emma… Et oh mon dieu, c’est dingue ce qu’elle est mignonne cette petite. C’est dingue ce qu’elle lui ressemble aussi. Ne fonds pas en larmes, ne fonds pas en larme. Elle culpabilise à mort. Sephora acquiesce comme une imbécile. Oui, c’est moi tu vois, je vis, ou du moins survis, encore finalement. « J’aurai pas du, mais je suis plus ou moins prête à entendre ton sermon. » Faux. Faux.

L'envie de lui claquer la porte au nez était bien présente. Et très forte. Pendant des semaines elle n'avait pas eu la moindre nouvelle d'elle, elle était partie comme une foutue voleuse à un moment où elle avait eu terriblement besoin d'elle. « J’aurai pas du, mais je suis plus ou moins prête à entendre ton sermon. » La main d'Albane eut un tremblement imperceptible sur la poignée de la porte. Ses mâchoires se contractèrent violemment et elle s'avança pour lui planter son index dans la poitrine. « Deux mois ! Deux putains de mois sans nouvelles ! T'as de la chance que je t'aie pas claqué la porte au nez quand je t'ai reconnue, bordel ! » Il y eut un moment de silence. La petite brune finit toutefois par s'écarter pour laisser passer sa cousine et referma la porte derrière elle en tirant machinalement sur le t-shirt trop grand, visiblement taillé pour un homme, qui couvrait son buste. Enfin, elle déposa Emma dans son fauteuil bébé, attrapa le cadre photo qui traînait sur la table basse pour le remettre à sa place sur la bibliothèque et disparut dans la cuisine. Elle en revint cinq minutes plus tard avec une assiette de macarons multicolores et deux tasses fumantes. « Il va falloir que tu t'expliques, Sephy. Et vite. »

Toujours stoïque. C’est à peine si sa cage thoracique se gonfle régulièrement pour lui permettre de respirer et de rester calme. Inspire. Expire. Inspire. Et ainsi de suite. Sephora se le répète sans cesse dans sa tête au cas où les commandes ne soient plus faites toutes seules. « Deux mois ! Deux putains de mois sans nouvelles ! Tas de la chance que je t’aie pas claqué la porte au nez quand je t’ai reconnue, bordel ! » La jeune femme cligne plusieurs fois des yeux. De la chance ? Lui claquer la porte au nez après tout ce temps aurait surement été la réaction la plus sensée de ce jour. Et puis elle s’introduit dans cette pièce, c’est un peu comme la salle où elle est sur le point d’être exécutée, par sa propre cousine, sous les yeux de celle qui fut sa filleule. « Il va falloir que tu t’expliques, Sephy. Et vite. » Elle regarde les macarons avec un air suspect. Non, elle n’est pas paranoïaque, mais Albane sait que c’est son point faible. Le pire. Elle fronce les sourcils et fixe sa cousine. Jette toi dans la gueule du loup. Maintenant. Une profonde inspiration et se lance. « Je pouvais pas… Il s’est passé trois deux choses il y a deux mois. Et c’était trop. Tu méritais pas ça, parce que t’es la fille la plus altruiste au monde et qu’au contre je ne suis qu’une sale égoïste, quoique t’en penses. » Ça c’est fait. Ça ne suffit pas. Enfin, qu’on se le dise, jamais rien ne suffira pour expliquer son comportement d’irresponsable. « Nous ne sommes pas… semblables. Tu sais affronter la réalité, je passe mon temps à la fuir. Dans le fond, t’aurais peut être du claquer cette porte. »

« Je pouvais pas… Il s’est passé trois deux choses il y a deux mois. Et c’était trop. Tu méritais pas ça, parce que t’es la fille la plus altruiste au monde et qu’au contre je ne suis qu’une sale égoïste, quoique t’en penses. » Albane inspira longuement. Elle se massa l'arête du nez, croisa les bras sur sa poitrine. « Nous ne sommes pas… semblables. Tu sais affronter la réalité, je passe mon temps à la fuir. Dans le fond, t’aurais peut être du claquer cette porte. » Finalement, elle n'arriva pas à rester calme. Sa main partit et la gifle résonna dans son petit appartement, si fort qu'Emma arrêta immédiatement de gazouiller et ouvrit de grands yeux ronds. « Maintenant tu arrêtes de dire des conneries. Tu veux pas t'expliquer, très bien. Mais tu arrêtes de raconter des imbécilités plus grosses que toi, tu manges ces macarons... » Elle souleva ensuite Emma et la lui tendit, presque à bout de bras. « Et tu dis bonjour à ta filleule. »

C’est un véritable choc. La sensation de douleur, de brulure. Le réveil provoqué. La rouquine cligne plusieurs fois des yeux pour comprendre ce qu’il vient de se passer là, sous ses yeux. Elle déglutit. Non, cela ne vient pas de son imagination. « Maintenant tu arrêtes de dire des conneries. Tu veux pas t’expliquer, très bien. Mais tu arrêtes de racontes des imbécilités plus grosses que toi, tu manges ces macarons… » Encore incapable de faire de geste trop compliqué. Sephora se frotte la joue pour faire passer le coup et attrape Emma en la voyant sous son nez. « Et tu dis bonjour à ta filleule. » Les macarons seront pour plus tard, elle ne peut s’empêcher de fondre face à la petite fille dans ses bras. « Elle est… adorable comme sa mère. » Pas encore diplômée ou stable, la jeune femme est presque jalouse de sa cousine. Elle prend son courage à deux mains et fixe finalement cette dernière dans les yeux. « Comme quoi, les chiens ne font pas des chats. » Un fin sourire s’étire quelques secondes sur ses lèvres avant de se volatiliser. « Je m’en veux tellement, tu sais. » Elle se mord la lèvre, prend une profonde inspiration prête à débiter tout un tas de choses qui ne sont pas forcément des excuses ou des explications. « Je me voyais pas rester ici, monopoliser votre temps, à vous tous. Passer des jours à pleurer sous vos yeux. Ouais, je me voyais pas déprimer dans cette ville, abandonnée par lui. Et… Et les semaines sont passées là bas, j’étais convaincue que je pouvais m’en sortir, reconstruire ma vie, tu vois… Et votre absence s’est fait ressentir, ça en est devenu insoutenable. On a beau s’éloigner par moment pour des obligations familiales… » Sephora la regarde de nouveau. « Ou professionnelles, je me vois pas vivre sans toi ou Aaron et d’autres. »

« Elle est… adorable comme sa mère. Comme quoi, les chiens ne font pas des chats. » Emma adressa un sourire humide à sa marraine, tout en gencives et en bulles de salive impressionnantes pour un si petit bébé. Albane se contenta d'un léger haussement d'épaules en resserrant ses mains autour de sa tasse de thé, pendant que la petite fronçait le nez sous les cheveux roux qui la chatouillaient. « Je m’en veux tellement, tu sais. Je me voyais pas rester ici, monopoliser votre temps, à vous tous. Passer des jours à pleurer sous vos yeux. Ouais, je me voyais pas déprimer dans cette ville, abandonnée par lui. Et… Et les semaines sont passées là bas, j’étais convaincue que je pouvais m’en sortir, reconstruire ma vie, tu vois… Et votre absence s’est fait ressentir, ça en est devenu insoutenable. On a beau s’éloigner par moment pour des obligations familiales… Ou professionnelles, je me vois pas vivre sans toi ou Aaron et d’autres. » La petite brune l'écouta stoïquement, en grignotant un macaron à la framboise du bout des dents. Finalement, elle poussa un soupir et se rencogna dans le canapé. « Tu t'es comportée comme une idiote. Disparaître comme ça... » Elle leva la tête avec un nouveau soupir, plus agacé cette fois. « On aurait été là pour toi et c'est normal parce qu'on est une famille, Sephora. Et surtout on aurait pu se soutenir mutuellement. Je... » Silence. « C'était pas la joie pour moi non plus. »

« Tu t’es comportée comme une idiote. Disparaître comme ça… » Sephora soupire et en profite pour « noyer » son angoisse dans un macaron. Vite du sucre. Elle ferme les yeux une fois la pâtisserie en bouche. Voir leur tête, les macarons et passer du temps avec eux, c’est dingue comment ça lui avait manqué. « Disons que dans le cas où je voulais me faire passer pour morte, ou fugitive, je m’en suis pas trop mal sorti. » Elle hausse les épaules sans se douter une seconde qu’une telle remarque pourrait ne pas rassurer ses proches dans le futur. Ça sonne comme une fierté. T’as vu, j’y suis parvenu et qui sait, si l’envie me reprend, je pourrai recommencer dans un futur plus ou moins proche. « On aurait été là pour toi et c’est normal parce qu’on est une famille, Sephora. Et surtout on aurait pu se soutenir mutuellement. Je… C’est pas la joie pour moi non plus. » La jeune femme cligne une nouvelle fois des yeux, serre un peu plus Emma et finit par lâcher une éventuelle bombe. « Nous avons appris ça, ouais… » Elle se mort la lèvre. Dire qu’elle s’est renseignée sur les évènements qui se sont déroulés lors de son absence n’est pas une très bonne idée. Cette fois, la jeune femme en est certaine. Tant pis, c’est dit. C’est comme une sorte de preuve où elle n’a pas cessé une seconde de penser à eux. « Mais je me sentais pas capable de vous imposer mes larmes, mes hurlements, les gueules de bois à n’en plus finir. J’ai carrément déconné ces deux derniers mois. » Il faut croire que les échecs amoureux, c’est un peu un truc de famille, dans les gènes, un truc vraiment à elles surtout, genre ça a sauté une génération. Elles sont maudites, en quelques sortes.

« Disons que dans le cas où je voulais me faire passer pour morte, ou fugitive, je m’en suis pas trop mal sorti. » Elle préféra ne pas relever. Elle avait parfaitement compris ce que cette simple phrase sous-entendait mais elle préférait ne rien dire sinon elle allait s'énerver , péter un plomb, Emma se mettrait à pleurer... et tout serait fichu en l'air. « Nous avons appris ça, ouais… » « Donc tu sais que Cesar s'est foutu en l'air une petite semaine après la naissance d'Emma, » fit Albane sur un ton qui se voulait léger. Mais un voile de souffrance passa furtivement dans son regard. Elle n'était pas encore tout à fait remise de sa mort et il lui arrivait parfois de pleurer simplement en observant une des quelques photos de lui qui restaient dans l'appartement. Elle secoua la tête et récupéra la petite, qui commençait à geindre. C'était l'heure du sein. « Mais je me sentais pas capable de vous imposer mes larmes, mes hurlements, les gueules de bois à n’en plus finir. J’ai carrément déconné ces deux derniers mois. » La petite brune se contenta de saisir sa main pour la serrer le plus fort possible. Enfin, malgré Emma qui lui tétait furieusement le sein, elle attira Sephora vers elle pour la serrer le plus fort possible. « Tu m'as manqué, espèce d'idiote. » Et ce ne fut qu'à cet instant qu'elle tilta. « Nous avons appris ça ? Comment ça, nous ? »

« Donc tu sais que Cesar s’est foutu en l’air une petite semaine après la naissance d’Emma. » Elle acquiesce, sans rien ajouter, gênée par la manière dont elle doit se comporter. Comme présenter des condoléances quand vous ne portiez pas le disparu dans votre cœur ? Cesar et Sephora, on était à des années lumières de l’entente parfaite. « Je suis vraiment désolée Albane… » Elle se mort la lèvre, incapable d’en dire d’avantage. Elle s’était arrêtée à une certaine image du père d’Emma, sans essayer de le connaître même pour faire plaisir à sa cousine. Le tout ce qu’elle tenait à lui et par conséquent affecte aujourd’hui la rouquine d’une certaine façon. « Tu m’as manqué, espèce d’idiote. » Et c’est dans une position quelque peu étrange – afin de ne pas étouffer la petite par erreur – que Sephora se retrouve collée à Albane. Elle esquisse un sourire soulagée que les retrouvailles s’apaisent. « Nous avons appris ça ? Comme ça, nous ? » Le teint rouge pivoine qui fait concurrence à sa tignasse, la jeune femme fixe Albane dans les yeux confuse. Ça c’était la phrase de trop. C’est sur, le nous ne peut pas correspondre à un Alee amnésique accompagnant la jeune femme, elle n’ose pas s’aventurer sur le chemin du mensonge. « Ouais, j’ai croisé une tête connue, enfin même si Ca-… » Autant avouer le nom de ladite tête connue. « Même si Camel est plus à un de tes amis que les miens. »