Soigneusement, presque avec délicatesse comme si ce n'était que cristal, je replie la lettre que l'on vient de me glisser sous ma porte d'entrée. Je n'ai entendu ni pas sur le seuil, ni voiture qui se gare devant chez moi, ni porte qui claque ; il semblerait que cette missive, ou plutôt ce contrat, me vienne de nulle part. Je la range dans un compartiment caché sous mon bureau, et m'empare du dossier ci-joint. Mademoiselle Valmont, Auxane Elizabeth, d'origine Française et âgée de vingt et un ans. Jeune fille belle, mais exclue de la société. Journaliste et acharnée de son job. Presque hautaine et trop perfectionniste, un sens de la répartie bien développé. Je sens que ce mois qui se profile à l'horizon va être très loin d'être ennuyeux.

Je m'avance, histoire d'être un peu plus près et de ne pas te perdre de vue. Je garde tout de même une certaine distance, je n'ose imaginer ce que je ferais si tu me surprenais, te suivant durant ton shopping. Tu sembles avoir une passion particulière pour les vêtements de luxe très coûteux, mais jamais tu n'entres dans une boutique et en ressors les bras chargés de sacs. Sans doute ton porte monnaie ne le supporterait pas, alors tu te contentes de dévorer des yeux ce que tu ne pourras jamais acheter. Voyons ma belle, tu te fais du mal pour rien. Il y a foule aujourd'hui, sur Paris. Les champs élysés accueillent de jour comme de nuit tout un tas de parisiens et d'étrangers. Je ne sais pas dans quelles affaires peu correctes tu as fourré ton nez, il n'empêche que quelqu'un te veut du mal et m'a engagé pour te faire taire à jamais. Je m'efforce de suivre les ordres en toute impartialité. On exige, j'obéis, c'est aussi simple que cela. Le plan établis consiste à compléter un peu ce dossier que l'on m'a remis. Je veux apprendre à te connaître, tes habitudes, les endroits que tu visites, les endroits que tu évites, je veux tout savoir car le moment venu, toi comme moi n'auront pas de seconde chance. Ça y est, tu décroches enfin ton regard de cette foutue boutique, tu suis ton chemin, esquivant habilement les passants. Tout à coup mon téléphone sonne. Je peste, je jure, je décroche. « Bon sang Connor ! Qu'est-ce que tu fiches enfin ? Ça fait une semaine que j'essaie de te joindre, je me faisais du souci. Beaucoup de souci. » Merde. Juste un mot. Merde. « Bonjour mère. Quelle surprise ! Je vais bien et toi ? » À chacun de tes coups de fils je fuyais mon téléphone comme la peste. Je n'avais pas le temps de m'attarder sur les « pourquoi suis-je parti en France ? », « pourquoi m'être installé à Paris ? », « n'aimais-je pas los angeles ? ». Il y avait plusieurs réponses à chacune de tes questions. « Ne fais pas l'idiot ! Es-tu bien installé ? Paris est une belle ville n'est-ce pas ? » Paris était pour moi l'avenir. Son université représentait ce dont j'avais toujours désiré. Etudier la psychologie, le comportement humain. C'était passionnant. Mais Paris est une ville chère. J'avais donc été obligé de trouver un petit boulot en contrepartie, et suffisamment payé pour combler tous mes caprices. Pas le genre de passe temps rêvé, mais quand on a pas le choix on se contente de ce qu'on a. J'aurais jamais cru me laisser embarquer là d'dans. Ça craint, ouais, vraiment. Je sais. Mais il y a une autre raison à « pourquoi la France ? pourquoi Paris ? » et c'est Gaultier. Tout le monde sait que...« Connor ? Tu es là ? » Encore merde. Je t'avais oublié, mère. « Oui. Oui à tout. Je suis bien installé, l'appart est cool, et Paris est beau. J'aurais pas pu rêver mieux. » Où en étais-je ? tout le monde sait que le nom de famille vient du père. Eh bien justement, la vraie question est « où se cache-t-il ? Monsieur Gaultier. Mon géniteur. » Je sais juste que... « Et l'université ? La psychologie t'intéresse toujours autant ? Tu t'es fait des amis ? Tu as rencontré des jolies filles ? » Quelle plaie. Tu commences déjà à me taper sur les nerfs, mais je vais rester poli, soit. « Oui. Puis, oui, en un mois ça n'a pas changé. Ensuite, peut-être bien. Et pour finir, tu verras si je t'en présente une un jour. » Donc, revenons à nous moutons. Je sais juste que Monsieur Gaultier habitait la belle Capitale de France. C'était un homme influent de ce monde, lors d'un de ses voyages d'affaires en Californie il s'est laissé allé, il a rencontré ma mère, et puis j'ai débarqué. Il est parti avant ma naissance, il se pourrait qu'il ne sache même pas que j'existe. Je ne parle jamais de lui avec ma mère, rien n'est plus efficace pour la faire taire, que d'aborder le sujet. À l'époque, ils étaient tous les deux célibataires par chance. Désormais, elle est mariée à un honnête type, qui en même temps nous a ram'né une gosse de dix sept ans née d'un précédent mariage, ma demie-soeur par alliance donc. Pour la décrire je dirais, juste un mot. Un seul, chiante. Et me voilà à Paris dans le but de trouver ne serait-ce qu'une minuscule trace de mon géniteur. Juste pour savoir de qui j'tiens cette belle gueule, non j'déconne. « Oh mais quelle bonne idée ! Je vais tout de suite regarder sur Internet pour trouver un billet d'avion et en moins de temps pour le dire, je serai à tes côtés pour te tenir compagnie. J'ai hâte de rencontrer les gens que tu fréquentes. Je te tiens au courant. Bisou mon chéri, prends soin de toi. » D'où t'es venue cette brillante idée mère ? Venir me voir à Paris ? J'ai jaaamaaais dit ça. « Ouais, ouais, c'est ça. À bientôt et embrasse tout le monde, sauf la gosse. » J'étais à demi sérieux. « Je t'embrasse, fais attention à toi. Tu dis ça pour rigoler ! Tu l'aimes bien au fond de toi. » Euh, très très profondément alors. Faut vraiment creuser limite avec un tractopelle. « Ouais c'est ça. S'lut. » Je m'empresse d'appuyer sur le bouton raccrocher parce que la connaissant, les au-revoirs ressembleront à des adieux et ne se termineront jamais. J'ai tout de même le temps d'entendre « Allez, tu m'appelles si tu as besoin hein ! Je... » Je jette un regard sur la foule qui s'agglutine autour des grandes magasins chics des Champs. Elle est partie.