« Une douleur. Pas le genre de douleur qui vous prend d'un seul coup, que vous trouvez légèrement désagréable puis qui disparaît, aussi soudainement qu'elle est venue. Ce genre de douleur, c'est les petits bobos de tous les jours, quand notre gentil orteil vient brutalement rencontrer le coin du meuble, par exemple. Non, la vrai douleur, c'est celle qui grandit au fond de vous. La petite douleur qui grandit d'heures en heures, de jours en jours. Elle ne disparaît pas; vous pouvez prendre autant d'aspirine que vous voulez, tout ce que vous obtiendrez c'est des maux de ventre épouvantables. La vraie douleur, elle est impossible à décrire. Elle n'arrive pas comme ça. Elle s'installe, elle grandit. Elle se fout de vous. Oui, c'était comme ça que la petite Chloé ressentait tout ce qui se passait. Bien sûr, du haut de ses onze ans, elle aurait bien été incapable de décrire la souffrance qui lui prenait les tripes au moment même où je vous parle. Elle n'avait pas le vocabulaire suffisant. Mais de toute façon, la douleur était bien trop grande pour qu'elle puisse réfléchir correctement. Avez-vous déjà eu le cancer ? Cette maladie parfois incurable qui vous attaque au moment où vous vous y attendez le moins. Les médecins se montrent optimiste pour la guérison de cette maladie. Mais, quand c'est votre vie ou celle d'un proche, qui est en danger, vous êtes beaucoup moins joyeux. Je prends pour exemple Eleonor Martin, cette femme déjà frappé par le malheur, du haut de ses trente-cinq ans. Elle pleure. Eleonor est allongé sur sa fille, paisiblement endormie dans son lit d'hôpital. Et elle déverse un torrent de larmes. Que pouvait-elle faire d'autre ? Espérer, c'était un bien joli mot. Mais jamais aucun mot n'a sauvé une vie. Excepté les suicides -quoi que c'était plus des phrases qui sauvaient les suicidaires, mais ça c'est encore une autre histoire, et ladite fille, Chloé, n'avait vraiment pas envie de se suicider. Bref, passons. Elle attendait, elle espérait, mais elle était loin d'être optimiste comme les médecins. Après tout, si la prunelle de ses yeux disparaissait, qu'est-ce qu'il en avait à faire ? Bah, elle était morte, voilà tout. Elle n'arrivait pas à croire que la mort de Chloé, son bijou, sa vie, son oxygène, puisse provoquer si peu de remous dans le grand étang qu'est la vie. "Maman ?" Chloé releva péniblement la tête, avant de la reposer lourdement. La douleur était horrible, même si ce mot était bien faible pour la décrire. Eleonor releva la tête. Elle effaça rapidement ses larmes et un beau sourire, entièrement faux, éclaira son visage fatigué. "Dors. Il reste encore une heure." La jeune fille ferma ses yeux, et des larmes commencèrent à rouler doucement sur ses joues. Elle regarda successivement sa mère, jeune et pourtant déjà fatiguée de la vie, et la machine qui était attachée à elle h24, celle qui émettait des bip bip bip plus ou moins régulier. "Maman... J'ai peur..." Eleonor soupira. Être une mère était sûrement le devoir le plus dur. Comment aurait-elle pu la rassurer, lui dire que tout allait bien, qu'il ne fallait pas avoir peur, comment aurait-elle pu dire qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter quand elle même se faisait plus de mouron qu'un président de pays en faillite ? Comment arrêter de mentir ? Elle ne pouvait pas. "Ne t'inquiète pas. Tu ne sentiras rien." C'était censé être rassurant. Mais ça ne l'était en rien. La voix tremblante, les yeux emplis de larmes, non, ça attirait juste la pitié. Chloé rouvrit les yeux. Elle voulut dire quelque chose, elle aurait voulu crier au monde qu'elle était assez forte pour survivre, qu'elle était prête, mais en vérité elle était plus qu'incertaine. Son incertitude fut amplifiée quand, toujours allongée sur son lit à roulettes, divers médecins et infirmiers l'amenèrent dans la fameux salle. Il y a des lieux comme ça que vous ne pouvez pas oublier. Par exemple, vous n'oublierez sûrement les Champs-Elysées, la nuit où votre amoureux vous a demander en mariage. Vous vous rappellerez sûrement toute votre minable vie des reflets de l'eau, de la Tour Eiffel au loin. Chloé se rappellerait quand à elle de cette triste salle très éclairée. Elle se rappellerait toute sa vie de cette douleur qui allait bientôt quitter son corps -si elle survivait bien sûr. Et, quand un bonhomme bleu lui mit un masque à gaz, elle ne s'était jamais sentit aussi proche de la fin. Des trois heures qui suivirent, Chloé n'en su que des paroles rapporté par sa mère en pleurs, quelques heures après l'opération. Pendant ce temps-là, où des hommes se donnaient corps et âme pour sa survie, elle dormait, paisiblement. Le stress qui l'avait envahie au moment fatidique, celui où elle avait senti ses paupières se fermer, peut-être pour l'éternité, avait finalement disparu. En même temps, elle dormait. Puis, elle rouvrit les yeux. Plus de douleur. Cette douleur insoutenable qui revenait chaque jour depuis déjà un an, elle n'était plus là. Comme une vieille amie qui avait finalement décidé de s'en aller, loin. Chloé avait ouvert les yeux sur une Eleonor en pleurs, mais cette fois-ci, ces larmes étaient emplies de bonheur, d'un espoir retrouvé. La jeune fille, qui avait d'abord cru être libéré de la vie, avait compris. "Tu n'es pas morte." »

« L'adolescence. Ce n'est jamais la période la plus facile a traverser. On est perdu, tout est difficile, on se sent seule, tout se mélange, on n'a plus de repères. La plupart des teenagers se cherche, se teste, ils goûtent à des choses nouvelles, des choses dangereuses. Parfois, ça fini mal. Leur grande devise, "j'aurais voulu vivre dans le sens inverse, je commencerais par mourir, j'irais en rajeunissant et je finirai dans un orgasme" bande de hippie va. Je vous avoue que ce concept de vivre en sens inverse me laisse quelque peu perplexe. Avez-vous vu le film sur un type appelé Benjamin Button, né vieux et mort bébé ? Avez-vous tous les problèmes qu'il avait ? Bref. Oui, avec un certain recul, les ados peuvent sembler hystérique, débile, rebelle, hippie, et tout, mais c'est une période de doute. Quand vous y êtes, rien de tous ça vous semble fantasque. C'est normal de se droguer, de fumer, de boire, de coucher. Ce n'était sûrement pas Chloé qui allait dire le contraire. Oui, Chloé, la petite fille malade et fragile est devenue une adolescente débridée. Oui, c'est bien Chloé, du haut de ses 15 ans, qui se prélasse dans les bras d'un garçon, allongés tout deux sur le lit, à moitié nus. "Et si tes parents arrivent ?" demanda le jeune garçon, Adrien. Chloé ricana doucement. Les parents, quelle chose futile. A vrai dire, sa mère avait toujours été là pour elle, mais elle s'en fichait. Elle pensait que ses parents n'étaient que des bouseux. Chloé ne se rappelait plus le nombre de larmes qui ont coulées des yeux de sa mère, quatre ans auparavant. Quand au père de la jeune fille, Klaus, je dois bien avouer que Chloé a parfaitement raison en disant que c'est un bouseux. "Ma mère ne rentrera pas avant demain matin." "Et ton père ?" Chloé soupira. Tout expliquer aurait été bien trop long. Elle aurait pu lui dire qu'il n'avait jamais été là, qu'il ne l'avait jamais soutenue contre la maladie, qu'il se contentait de brefs appels lors de son anniversaire, oui, elle aurait pu tout lui raconter, mais elle ne le fit pas. "Toujours fourré en Suisse, avec sa p*te préférée je suppose." Oui, c'était bien la fragile Chloé qui parlait ainsi. Adrien haussa les épaules. A vrai dire, il s'en fichait des histoires de famille de sa copine. Il savait juste qu'il était une des seules personnes sur qui elle pouvait compter. Le jeune garçon alluma une cigarette et la fuma doucement. Chloé quand à elle, saisit la bouteille de gin qui traînait sur la table de nuit. Elle la porta a sa bouche, en but de grandes gorgées, puis s'endormit contre l'épaule de son ami, la bouteille en main. Tout change, tout est éphémère. Chloé n'aurait jamais pensé tomber dans ce tourbillon infernal. »