«
Monsieur Meyer, pouvez-vous répéter devant cette cour, les événements du samedi 26 mai, s'il-vous plaît ? » Pourquoi cette sensation dans ma poitrine alors que je sentis le regard de mon avocate essayer de me soutenir ? Nous avions tellement répétés ce moment. Je n'avais qu'à répéter mots pour mots. Je baissai pourtant la tête pour ne plus que regarder mes chaussures. Il m'était impossible de croiser le regard de ma mère, de mes sœurs ou pire celui de mon père. «
Il m'a attrapé par les cheveux juste après le repas et m'a tiré à l'arrière de la maison, dans notre petite cour intérieure. Il m'a alors dit des choses... » Mon avocate m'interrompit aussitôt en tapant du poing sur la table. Je sursautai, les douleurs dans mon dos se réveillèrent et je grinçai des dents par tenter de les faire fuir. «
Merci, d'être plus précis, Monsieur Meyer. Que vous a t-il dit à ce moment ? C'est important. » Je le savais, mais même si ces mots appartenaient au passé, comment pouvais-je avancer dans ma vie alors qu'ils continuaient de me torturer ? Je soupirai tout en levant une main pour me gratter le haut de l'épaule, mes doigts en rencontrant mes énormes bandages prirent la fuite et je terminai par joindre mes mains sur mes genoux. «
Il m'a dit que : Que les pédales dans mon genre ne méritait pas de vivre. Que le seigneur ne l'accepterait pas. Que j'étais une abomination. Que je n'étais pas humain et que mon sang était noir comme l'enfer. Qu'il avait honte que je sois son fils et qu'il préférait me tuer lui-même plutôt que de me voir défiler dans le quartier à remuer mes fesses pour... » Je ne pouvais plus continuer. Mon cerveau le voulait, mais mon corps se jouait de moi. Ma gorge était sèche. Je sentis alors la main de mon avocate venir me soutenir en me caressant l'épaule. J'osai alors croiser le regard de ma mère. Elle pleurait – aucune surprise pour moi. Mais pleurait-elle pour moi ou pour mon père qui était sur le banc des accusés ? Je devais être fort. Je ne pouvais pas abandonner maintenant. Je toussai bruyamment pour répondre.«
...à remuer mes fesses pour me faire défoncer comme une vulgaire petite chienne qui n'attend que de se faire féconder. » Des chuchotements de consternation s’élevèrent dans le fond de la salle. J'entendis mon père contester mais c'était inaudible à mon oreille pour que je m'en inquiète vraiment. La juge frappa de son marteau pour calmer la salle et le silence retomba, comme mon profond malaise qui s'intensifiait de minutes en minutes. «
Et, après, Monsieur Meyer ? » Je passai mes doigts sous mon bandage au-dessus de mon épaule et je grattai cette peau qui me martyrisait. «
Il m'a jeté sur le sol. Il m'a roué de coups...Puis, il a prit de l'essence...Le bidon de la machine à tondre la pelouse et il m'a aspergé avec. J'ai essayé de me débattre, de me révéler, mais à chaque fois il recommençait à me frapper. Enfin, il a craqué une allumette et il me l'a jeté dessus.» J'en avais pas terminé avec mon histoire. Je voulais – j'avais besoin – de raconter en détail la douleur, l'horreur de son acte, mais mon père se leva et je croisai pour la première fois son œil furieux. «
Je vais te tuer, petit enculé ! Qu'est ce que tu racontes comme mensonge !? J'aurais dû te terminer ce soir là ! » La salle est alors devenue folle. Mon père a essayé de se jeter sur moi, les policiers sont intervenus et enfin la juge à fait lever la séance. J’étais perdu. J'avais besoin de ma mère, mais elle, elle était auprès de mon père. Tout était si injuste.
(*ΘェΘ*)
«
Tu vas pas me faire ça, maman ? » J'essayai de maintenir le regard même si elle était maintenant perdue dans sa tasse de café. Je restai comme un idiot derrière la table de notre cuisine, fixant cette valise – ma valise – prêt de la porte. «
Je sais que nos relations ne sont pas idéales depuis que papa est en prison...Mais, je suis certain que cela peut s'arranger. Je suis prêt à faire des efforts. » Est-ce que je parlais dans le vide ? Je vis ma mère se lever et se pencher au-dessus de l'évier comme si c'était trop dur de soutenir le propre regard de son fils. Elle continuait à touiller son café avec une maniaquerie que je ne pouvais plus supporter. Le bruit métallique de la cuillère contre le rebord, elle aurait pu me rendre fou. «
Tu vas pas jeter ton propre fils à la rue ? » Elle tourna enfin sa tête vers moi, son visage toujours aussi bouleversé par cette peine qui ne la quittait plus. Ma mère n'était plus que l'ombre d'elle-même, une fontaine qui avalait antidépresseur sur antidépresseur. Elle ouvrit enfin la bouche, j'attendais ses paroles comme celle du messie. «
Tu n'es pas mon fils... » Tout s'écroula autour de moi, le papier peint vieillot, les bruits de jeux de mes sœurs dans leurs chambres, le ronronnement de notre réfrigérateur. Mon cœur loupa un battement, comme la vieille machine qui avait le double de mon âge. «
Mais, je vais aller vivre où ? Dans un foyer ? Je suis même pas majeur. » Ma mère jeta sa tasse au sol et m'éclaboussa les jambes avec son café brulant. Comme si dans cette famille, personne ne connaissait la douceur ? Je ne pensais pas mériter tant d'animosité. «
Je m'en fiche...Mon fils est mort. Il est mort il y a longtemps quand j'ai accouché... » Je n'étais pas un garçon mauvais. J'allais à l'école et j'aidais même au drugstore en bas de la rue pour me faire de l'argent de poche – que j'utilisais la moitié du temps pour acheter des glaces à mes sœurs. «
Et, à la place on t'a mis toi. Cette chose dégoutante. J'ai encore vu ce que tu as fait avec ta bouche à l'arrière de la maison à ce garçon... » Une fellation, maman. Cela s'appelle une fellation. Tu as dû en faire aussi dans ta jeunesse ? Espèce d'hypocrite ! Je m’enfonçai dans ma chaise et j'arrêtai de jouer avec les sucres sur la table. Est-ce que j'entendais bien ? Ma propre mère me rejetait ? Celle qui m'avait donné la vie ? Celle qui était tout pour moi ? «
Et, tu n'as apporté que le malheur. Je voudrais que tu sois mort pour effacer tout cela et qu'il revienne à la maison. Je veux le père de mes enfants. C'est tout ce que je veux. » Elle s'écroula sur le sol de la cuisine, se recroquevillant comme une enfant. Que pouvais-je ajouter d'autre ? Je pense que mes larmes ne changeront rien à ses hurlements. J'allais rester digne. Je me le devais. J'allais prendre ma valise, claquer la porte et fuir. Fuir le plus loin possible. Je méritais d'être heureux. Je le savais. Quelque part. Peut-être Paris ? Depuis, longtemps j'étais amoureux de cette ville. Oui, j'irais là-bas et je serais heureux Maman, tu verras.
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