La porte venait de se refermer derrière lui. Ange ferma les yeux, puis respira profondément. L’air de la liberté, voilà ce qui traversait actuellement ses poumons. Ses paupières se rouvrirent finalement, pour constater que personne ne l’attendait. De toute façon, il n’avait personne à attendre. Il avait tourné le dos à sa famille depuis l’âge de quatorze ans, âge auquel il avait également abandonné l’école pour se concentrer sur ce qu’il savait le mieux faire, c'est-à-dire rien. Pas d’amis, pas –ou plus- de famille, et donc personne pour l’attendre à sa sortie. Mais il n’en avait clairement rien à faire. Il était toujours parti du principe qu’il n’avait pas besoin des autres pour faire sa vie, alors ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait changer d’avis. Et puis c’était dans la rue qu’il trouvait sa dose de réconfort.

Après avoir marqué un long temps d’arrêt, Ange commença à marcher. Son sac à dos sur l’épaule, il se revoyait, gosse, à déambuler dans les rues à des heures qui n’étaient pas permises, pour faire comme les autres. Les autres, c’était ceux qui lui avaient fait découvrir la drogue, ceux qui l’avaient entrainé dans les mauvais coups, ceux qui l’avaient fait plonger. Alors maintenant, il ne pensait plus qu’à une seule chose : retrouver sa liberté envolée, et terminer ce qu’il avait commencé. Depuis quelques mois, il avait tout refoulé : sa haine, ses larmes, il avait tout gardé pour lui. Parce qu’en prison, on ne montre pas ses sentiments. Alors il était resté dans son coin, magouillant par-ci par-là quelques affaires, parce que c’était dans sa nature de toujours tout vouloir marchander. Tout avait en prix, il en était persuadé. Et puis parler de lui, ce n’était pas son truc. Il préférait parler des autres, ou plutôt sur les autres, quoi que parler tout court ne soit pas vraiment sa spécialité.
La rue était déserte. A croire que déjà sorti, tout le monde le fuyait. Pas après pas, un sentiment étrange l’envahissait. Un sentiment d’ivresse, de liberté, mais aussi la sensation qu’il n’était plus autant en sécurité qu’auparavant, dans sa cellule. Il se sentait comme nu dans un environnement qu’il ne savait pas, ou plus appréhender. Il marchait sans but, puisque de toute façon, il n’avait pour le moment nul part où aller. Les dernières personnes qu’il avait considérées comme des « potes » avaient plongé avec lui, et autant dire qu’ils n’étaient plus vraiment amis après ça. Les autres, ils les avaient tous oubliés.

Après quelques heures de marche, à errer dans les rues de Paris, Ange posa finalement son sac près d’un banc dans un parc. Débrouillard comme il était, il allait forcément trouver une solution pour passer la nuit au chaud, du moins il l’espérait. Il sortit une cigarette roulée de sa poche, un paquet d’allumette, et se chargea de l’allumer. Assis sur le dossier du banc, il regarda à l’horizon. Alors sa vie allait vraiment se résumer à ça ? Passer la nuit sur un banc, et marcher, et encore marcher pour passer le temps qu’il avait à perdre. Plutôt crever que demander de l’aide à quelqu’un. Et puis de toute façon, il n’avait personne, à part peut-être…

« - Ange.. »

Eleanor. Mais c’était impossible. De la pure fiction. Elle l’avait oublié, et lui aussi. Il tourna la tête, relevant l’un de ses sourcils. Sa cigarette à la bouche, il ne quitta pas ses yeux une seule seconde.

« - J’t’ai attendu tout l’après-midi.. »

Et lui l’avait attendu pendant six mois et sept jours en prison.

« - J’suis sorti ce matin. Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Eleanor esquissa un léger sourire, avant de venir s’assoir aux côtés d’Ange.

« - Je savais que tu serais là. »

Elle savait. La première fois qu’ils s’étaient embrassés, c’était sur ce banc. Ange n’avait pas choisi de s’assoir ici par hasard. En tout cas, il avait essayé de s’en persuader, mais la présence de la jeune femme ici lui prouvait évidemment le contraire. Son premier amour, et certainement l’amour de sa vie, c’était elle. Celle qui avait réussi à le faire tenir. Seulement durant ces six mois en détention, il avait réussi à se persuader qu’il n’était pas assez bien pour elle, et c’est bien pour cela qu’il avait décidé de tout faire pour ne pas la revoir. Il faisait souffrir tous les gens qu’il aimait, alors autant s’efforcer de ne pas les aimer. Ange déglutit.

« - J’ai rien à t’offrir Eleanor, tu le sais très bien.. »

Il l’avait déjà prévenu plusieurs fois dans ses lettres, mais à chaque fois, elle n’avait rien voulu savoir. Elle acquiesça d’un signe de la tête. De toute façon, il savait que c’était déjà peine perdu. Cette fille était une putain de kamikaze, et rien ne pouvait la faire changer d’avis. Si elle avait décidé de ne pas lâcher Ange, alors elle ne le lâcherait pas.

« - Viens, on rentre, j’vais attraper froid.. »

Ange soupira. Elle n’avait pas changé. Il enleva sa veste en jean, puis la déposa sur le dos d’Eleanor. Il prit son sac, et marchèrent en direction de l’appartement de la jeune fille.

« - T’es chiante.»
« - Non ! »
« - Si. »
« - Non ! »
« - Si. »
« - … »