Il était une fois, un homme d'affaires, un italien, en voyage en France, et une institutrice, elle, française, à la soif de découverte des merveilles du monde et autres cultures voisines. L'un: professionnel respirant sérieux et intransigeance; l'autre: jeune femme candide, animée de pureté. Aussi différents que complémentaires, inévitablement ils se rencontrèrent, se marièrent, vécurent heureux et eurent deux filles. Des jumelles. Deux gamines aux yeux émeraude et chevelure velours, faisant le bonheur de ceux leur ayant donné la vie.

    L'aînée, Serena. L'autre, Luca - un prénom masculin allant parfaitement à ce garçon manqué à l'énergie inépuisable.

    Les fillettes vécurent leurs jeunes années au rythme des excentricités de leurs parents. L'éducation ? Tantôt stricte et classique, comme le voulait Père; tantôt en dehors de toute norme sociale, selon les souhaits de Mère. Un parcours ? Sans surprise, tout tracé dans les plannings du premier; bohème et sans contrainte, dans les rêves de la seconde.

    Ainsi, Luca grandit-elle travailleuse, sérieuse, tout autant que fantasque et rêveuse. De plus, à observer Madame et Monsieur débattre quotidiennement sur ce qui était le mieux pour les fillettes - leurs avis à l'opposé les uns des autres - elle a acquis cette faculté de cogiter plus que de raison, d'envisager toutes les possibilités, toutes les situations. Tout ce qui l'entourait était source d'information, tout racontait une histoire, et passer à côté lui était devenu impossible, se transformant en un toc qu'elle préféra considérer comme un talent rare, la rendant spéciale, invincible.

    Elle fut, alors, la première à comprendre, à l'âge de six ans, que la vie paisible en compagnie de sa soeur n'allait pas durer, le ventre de leur mère s'arrondissant de façon de plus en plus évidente au fil des mois, avant que la famille n'accueille la petite dernière. Théodora, dite Teddy. Une gamine bouffie et criarde, que Luca ne supportait déjà plus le jour de sa venue au monde. Il lui fut, pourtant, impossible de ne pas s'y attacher à cet instant où elle noya ses yeux dans ceux du bébé, si innocents et curieux du monde qui l'entourait, dans lesquels Luca ne put s'empêcher de se reconnaître, son rôle de grande soeur s'imposant ainsi à elle.

    Un rôle qui fut de courte durée, lorsque Vartolomei-père se fit muter dans le coin du pays à l'opposée de leur ville natale, laissant femme et enfants derrière lui, mais, bouleversé de devoir s'en séparer, prenant la décision d'amener une des jumelles. Luca.

    À la différence qu'elle ne voyait plus sa mère et ses soeurs qu'en vacances scolaires et autres escapades, rien ne changea dans la vie de la jeune fille. Jusqu'à ce jour où son autre moitié, celle avec qui elle partageait tout, jusqu'à leur visage identique, commit l'irréparable. Âgée de 18 ans seulement, Luca apprit la nouvelle de l'accident par son père. Cet accident dont Serena était responsable, celui qui la plongea dans l'inconscience pendant trois longues années et qui prit la vie de Teddy...

    Les trois années furent passées au chevet de Serena, dans le coma, et dont le réveil aurait révélé du miracle. Il se produisit, pourtant, rendant enfin au quotidien de la famille en deuil un semblant de bonheur tout neuf et encore maladroit. Au quotidien de Luca, aussi, elle qui se sentait seule et délaissée depuis le jour fatidique.

    Couper les ponts avec Serena aurait été le dernier des souhaits de celle qui se retrouvait désormais la plus jeune des enfants Vartolomei... avant qu'elle ne tienne entre ses mains ce livre, écrit par l’aînée elle-même, contant l'accident dans les moindres détails, dont Luca fut écoeurée, tout comme elle le fut de sa soeur qui, à ses yeux, profitait de la mort de leur cadette pour se faire un nom.

    Partir et tout oublier. Faire sa vie et ne plus se soucier de ceux qui ne le méritent pas, de toute manière. Partir là où tout est nouveau, où tout est à découvrir, où la vie sera trop remplie pour laisser ses pensées dériver sur les malheurs passés. Partir loin.

    Postée dans l'entrebâillement de la porte, ses bras croisés sur la poitrine, ses lèvres affichant un sourire énigmatique, la silhouette de Luca était voilée par l'obscurité du soir parisien, alors que son regard voguait ci et là dans son nouveau chez-elle: un deux-pièces modeste aux prétentions minimalistes, ayant un lit, quelques meubles défraîchis et un tableau aux motifs incertains posé à même le sol. Un décor des plus sobres qui, pourtant, lui semblait avoir la grandeur et la noblesse du Château de Versailles, tant sa joie d'en être enfin arrivée là était immense. Là - Paris. La ville des rêves de nombreux; des déceptions de ceux n'ayant pas réussi à s'y faire une place. Ce dernier dénouement n'étant, aux yeux de Luca, pas envisageable pour son propre cas.

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