Par cette nuit de février deux mille douze, par ce froid glacial, malgré tes chauffages purement décoratifs et ta couverture qui ne t'apportait que l'illusion d'une chaleur factice, t'aurais voulu écrire. Rédiger un bête de texte, le composer de l'encre de ta vie et mettre tout ton coeur à l'ouvrage. Tu te serais appliquer, t'aurais pris la peine de soigneusement tracer de belles lettrines et de soigner ton orthographe. T'aurais narrer ton existence dans les moindres détails, t'aurais raconter au papier les pires détails que t'as, à ce jour, encore jamais évoqué... T'aurais voulu, mais ton putain d'analphabétisme chronique t'en empéchait. T'en as honte, tu te caches même le visage alors que t'es seul dans ton pauvre pieu: après quinze piges d'enseignement, t'as pas été foutu de savoir écrire autre chose que ton nom.

T'as toujours détesté l'école, et l'école te le rendait bien. T'as jamais été aussi raillé qu'en primaire, tu t'es jamais aussi senti mal dans ta peau qu'au collège; t'étais beau pourtant, les filles qui ne te connaissaient pas te pointaient volontiers du doigt, piaillaient sur ton dos en flattant ton visage aux si jolies traits. Pourtant, tu n'avais aucun putain d'ami. On se contentait de te fuir comme la peste, tandis que toi, tu pleurais et frappais chaque jour contre le même arbre. Même rengaine, et ce des années durant. Pour les autres, tu n'étais pas Louis, tu ne valais même pas la peine que l'on se souvienne de ton blase; t'étais simplement désigné comme étant le triso de service, le mec dont il était foutrement hype de se moquer. On s'intéressait tellement peu à toi que t'en avais perdu le goût des autres: t'aurais voulu pouvoir parler de toi à quelqu'un, lui vantais la profession de ton père, lui racontais ô combien tes parents s'étaient demenés pour finalement t'avoir, lui avouais à quel point t'étais désolé pour eux d'être né avec quelques chromosomes défectueux. Mais tout ça, tout le monde s'en tapait.

Sauf lui. T'aurais pu écrire un bouquin en plusieurs volumes à son sujet, écrire à t'en bousiller les doigts, à en arracher le papier, si seulement t'avait pu. Camel, c'était un mec de ta classe sans histoire, un gars qui, à défaut de faire de ta vie un enfer, se limitait au fait de t'ignorer; tu t'en accomodais largement, et souvent, oubliais même qui il était. Tu ne lui as jamais avoué, mais avant de devenir à ton humble avis la huitième merveille du monde, Camel n'était pour toi qu'un mec parmi tant d'autres, pourri jusqu'à la moëlle, triste et haineux; un homme en somme. 22 mars 20XX, cette date fatidique. Ta renaissance, le jour depuis lequel ta vie n'a plus le même goût. D'amer, elle était devenue subtilement sucrée, rythmée par les battements précipités de ton petit coeur à son approche. Ton souffle avait beau être court et tes joues cramoisies, t'aurais déplacer des montagnes juste pour lui. T'as jamais été aussi heureux qu'à ses côtés. Première attirance, premier baiser, première fois, tu lui dois tellement de choses que t'as depuis longtemps cessé de les compter. T'aimais tellement les regards qu'il te portait, tant gorgés d'amour qu'ils en devenaient indécents pour ceux qui n'avaient pas ta chance: tu les emmerdais pourtant sans la moindre finesse. Les autres n'arrivaient pas à comprendre ce que Camel te trouvait: t'étais pour eux bien trop bizarre, trop chiant, trop changeant; tellement différent. T'en aurais bien buté un ou deux, peut-être ne l'auraient-ils finalement pas influencé.

"Je suis désolé Louis. Je t’aime, mais j’y arrive plus." Cette phrase, elle tourne juste en boucle depuis des mois; chaque fois le même effet, chaque fois la même envie de gerber au monde toute la rancune que t'éprouves. Un an que t'as l'estomac et le coeur serrés, prêts à céder à la moindre secousse; t'essayes d'éviter les dommages collatéraux pour ne pas perdre pied. T'as assez donné à cause de cet enfoiré. Ce putain d'enfoiré qui t'avait pourtant juré t'appartenir; t'arrives pourtant pas à lui en vouloir, sans pour autant parvenir à le comprendre. Il t'avait promis merde, et c'est tout ce qui compte. Juste un manque fou, viscéral, vital, mortel: t'y penses nuit et jour. Tu l'as dans la peau, t'aimerais lutter, mais t'en es juste incapable.

Tu te retournes dans ton lit, tire le drap sur tes épaules, observe la pluie battante contre tes carreaux: on se croirait dans ce genre de mauvais films romantiques que tu chéris tant. Alors, les yeux pétillants, tu te redresses, t'assieds en tailleur sur ton matelas miteux et attend que ton héros défonce ta porte d'entrée à grands coups de pieds, alarmé par ton aura puant et suant la tristesse par tous ses pores. T'attends quinze minutes, une, deux heures, et t'as beau sourire à t'en bleuir les joues, rien. Peut-être que tu crois trop aux contes de fées: t'as tant rêvé ta vie que t'en es devenu constamment incomplet. Tu te rallonges, finis par t'endormir dans l'espoir que Cheshire vienne te réveiller du bout des doigts, du bout des lèvres. Le lendemain matin pourtant, ton appartement est toujours aussi froid.

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Grayson, Yannie, Ella, Lumen & Cheshire.