Qui suis-je ? Qu’est ce que je fous ici ? Par ici, j’entends sur terre. Qu’est ce qui s’est tapé une barre à me faire naitre sérieux ? Non parce que c’était assez moyen comme blague hein. Je me pose tous les jours ces questions débiles et sans réponse. Ce serait si simple d’en finir. Un peu de somnifères en trop, et hop ce serait fait (pas comme la nana d’
Intouchables avec ses Immodiums). Mais je ne suis pas assez courageuse. Je le sais. Même pas assez courageuse pour le tenter à l’Immodium ou au Doliprane. Et pourtant, ça résoudrait tout d’un seul coup. Non pas que j’ai particulièrement à me plaindre hein. J’ai dix huit ans, je vis dans une maison à Paris avec mes parents et mon chat, Marie (rien à voir avec les Aristochats en plus, je vous promets, c’est une longue histoire). Je ne suis pas mauvaise élève. J’ai de plutôt bons amis. Enfin, globalement, d’un point de vue extérieur, j’ai tout pour être heureuse.
Comparée aux choses qui arrivent à certaines personnes qui sont à la limite de la troisième guerre mondiale dans leur famille, ma vie parait géniale et calme. Je semble plutôt marrante, légèrement décalée mais ça ne perturbe personne. Souriante en société, heureuse en apparence. Tout le monde y croit. Ma propre mère comprise. Personne ne comprend le traumatisme d’une vie amoureuse vide depuis dix huit ans et d’une solitude ressentie (parfois même sans raisons) à chaque instant. Je ne vis que pour l’équitation, la fac et le rp. Ça en deviendrait presque triste. Geek jusqu’au bout des ongles je crois que j’ai plus d’amis virtuels que d’amis réels. Susceptible ? Chiante ? Désagréable ? Grossière ? Peut être. Mais n’essayez pas trop de me juger. Même moi je ne sais pas qui je suis.
Quand je dis que je ne sais pas, je n’en ai vraiment aucune idée. Et je n’oserai jamais en parler à personne. Bisexuelle ou hétérosexuelle ? Dépressive ou triste ? Boulimique ou gourmande ? Où sont les limites ? A partir de quand peut on se considérer comme malade mentale ? A partir de quand peut on se libérer de soi-même ? De cette petite voix qui critique chacun de mes gestes dans ma tête ? Sérieusement, y –t-il autre chose que la fin pure et simple pour arrêter cette torture ? Cette constante remise en question de soi même ? Ces horribles conclusions ? J’ai l’impression d’être enfermée en moi-même, d’être séquestrée dans un corps où je n’ai absolument rien à faire n’y aucune raison de rester. J’en deviens limite claustrophobe. Et ça me fait vraiment flipper.
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Je jette un œil au forum. Tout beau tout propre, les admins viennent de finir la mise à jour. C’est trop joli. Je sais que j’ai un demi million de choses à écrire, que je suis en retard au possible et que c’est mal. J’ouvre Word, regarde la page blanche pendant quelques secondes puis la referme. La flemme. Trop de littérature tue la littérature. Et la section littéraire la tue à vitesse grand v d’ailleurs. J’ouvre un site de streaming, trouve un épisode de Glee que je n’ai pas vu trop de fois et décide que ce sera très bien pour ce soir. Au bout de dix minutes, la porte claque. «
Capuciiiiiiiiiiiine je suis rentrée, comment s’est passée ta journée ? » Je grogne, sors de mon sac de couchage, ferme l’ordi et affiche un sourire hypocrite. «
Coucou maman. Ça s’est très bien passé, la philo mise à part. » Je m’arrête une seconde. «
J’ai eu sept. » Ma mère hausse les épaules. «
Tu feras mieux la prochaine fois mais tu savais que tu avais raté non ? De toutes les manières en s’y prenant le dimanche soir à dix huit heures c’était couru d’avance. » Je m’apprête à protester mais je sais bien qu’elle a raison. Heureusement que ma chère maman a une politique de tolérance envers les mauvaises notes. «
Dis Cap, c’est dans deux jours la fermeture d’APB non ? » «
Ouais, j’ai demandé Descartes en premier choix. » Ma mère sourit. «
Tu es sure de toi ? » La question traitre. Non. Bien sur que non je ne suis pas sure. On me demande de choisir des études et ce choix déterminera en partie ce que je ferai de ma vie. Comment veux tu que je sois sure maman ? Comment est ce que ça pourrait être possible ? «
Oui, ça à l’air bien. Edouard m’a accompagné visiter la fac il y a une semaine, ça me plait ! » «
Parfait alors. » Ma mère est tout sourire, certainement fière du fait que je sache ce que je veux alors que j’ai un an d’avance. Je souris comme je peux et retourne devant l’ordinateur. Où en étais-je ? Ah oui, Kurt qui chante
Hold your hand des Beatles. J’essuie une petite larme. C’est moi qui veut tenir ta main oui. Laisse tomber les autres.
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«
Baisse tes talons, le dos droit, ne regarde pas l’obstacle… Capucine, viens me voir ! » J’avance au pas vers ma monitrice d’équitation, Margaux. «
Tu dois passer derrière le cône. Hidalgo est sympa et il a un bon coup de saut, mais si je monte la barre là, il pile et tu passes par-dessus, pendant que je croise les doigts pour que mon cheval ne se casse pas une jambe. Alors fais moi le plaisir de te redresser, d’arrêter de regarder par terre et surtout D’AVANCER, là tu l’handicapes il peut rien faire. » Je hoche la tête ? Concentrée. Je prends le galop sur la piste et m’avance vers l’obstacle en tentant d’appliquer les conseils de Margaux. Je pense réussir quand au dernier moment j’entends un des postérieurs de ma monture faire tomber la barre. «
Eeeeeeeeeh merde ! » «
C’est parce qu’il ne te fait plus confiance hein, c’était plutôt pas mal abordé en soi, mais il a peur maintenant, il ne sait pas trop à quoi s’attendre. Marche au milieu, vas y Gaëlle ! » Je secoue la tête, extrêmement déçue. Comment ça il ne me fait pas confiance ? Je suis la seule cavalière de ce club à aimer ce cheval, il pourrait se montrer un peu reconnaissant. J’essuie les larmes qui me montent aux yeux et tente de les cacher en faisant semblant de jouer avec mon cheval. «
Tu pleures ? » Rachel. Elle me connait bien, depuis le temps. Je souris comme je peux. «
Non, non, je suis un peu déçue mais ça va. Je suis fatiguée donc tout prend des proportions énormes… » Elle fait semblant de me croire. A d’autres. J’ai dormi onze heures la nuit dernière puisque je commence les cours à dix heures le mercredi. Je suis juste extrêmement vexée. Mais je me force à rester calme et à respirer profondément. J’attendrai d’être chez moi avant de craquer.
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«
Ouais, t’as trop fait ta chaudasse samedi soir ! » Je hausse un sourcil. Moi ? Chaudasse ? Lol. De temps en temps, j’aimerais bien. Etre comme ces personnages de rp libertines au possible, comme Léa en somme. C’est peut être pour ça que j’aime tant la jouer. Mais IRL, je suis tout sauf ça. Vraiment. Je jette un coup d’œil à celui de mes amis qui vient de faire cette remarque. «
Oui Jules, tu as raison oui. Tu veux qu’on parle de certaines histoires hein ? Qu’on compare nos vies sexuelles ? Parce que je crois que question chaud lapin, tu gagnes, et de loin. » Je fais attention à ne pas parler trop fort car je sais parfaitement que Martin, mon coup de cœur du moment, doit trainer dans le coin, pas trop près parce qu’il ne supporte pas l’odeur de la fumée des cigarettes que Jules, Clara et moi-même tenons, mais quand même. Jules hausse les épaules. «
N’empêche. En plus le serveur était gay, ça servait à rien. » «
Mec, sérieusement, si j’étais du genre à draguer des serveurs gay de quarante cinq ans, ça se saurait. » Si j’étais capable de draguer des lycéens hétéro de dix sept ans, déjà, ce serait pas mal. Ma vie sentimentale est un désastre sans nom. Je n’ai jamais eu de petit ami, je suis célibataire, et même si on essaie toujours de se faire croire que le célibat, c’est le bonheur, soyons une seconde, le célibat, c’est l’horreur. On dit tous les ans que la Saint Valentin est une fête commerciale, n’empêche qu’on rêve tous d’une rose rouge ou d’un cœur en peluche. J’ai du supporter la vision de ce genre de trucs un nombre de fois incalculable mais je n’en ai jamais reçu un seul. Dites, les gars, je sens le pâté ?
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Caaaaaaaaaaapuciiiince, alors t’as eu quoooooooooooi ? » Clara hurle au téléphone. Brillante élève, je me doute bien qu’elle a eu la mention très bien ELLE. «
Mention assez bien. C’est déjà ça vu ce que j’ai rendu en philo. Et toi ? » Je le sais parfaitement, mais je sais aussi qu’elle ne m’appelle pas par envie particulière de savoir mes notes mais surtout pour me dire les siennes. «
Mention très bien et félicitations du jury. Et je suis prise en double licence droit histoire à la Sorbonne. » OOOOH CHOUETTE, youhou. Et quelle surprise! «
Moi je vais à Descartes en droit. » C’est pas comme si j’avais le dossier pour faire une double licence de toutes les façons. Nous échangeons encore quelques mots polis puis je raccroche. J’adore Clara mais je me sens absolument débile à côté d’elle. Elle est la fille que tout le monde apprécie : facile à vivre, marrante, plutôt normale et intelligente. Pas vraiment comme moi. Sur facebook, tout ceux qui ont eu la mention bien ou plus les publient, pour être surs que chacun prenne conscience de leur supériorité intellectuelle sans doute. Personne ne publie de convocation aux rattrapages, et pourtant il doit bien y en avoir. Après l’épisode Clara, je décide d’appeler toutes les mentions très bien d’un coup. Je décroche mon téléphone et appelle Clémence, ma meilleure amie, qui me décevrait beaucoup si elle n’avait eu ‘que’ la mention bien. «
Hey Clém, aloooors ? Dis-moi tout ! » «
J’ai mention très bien meuf, je sais même pas comment ! » Oh, oui, quelle surprise. «
OMG C’EST TROP BIEN ! Et t’as été prise dans ta licence ? » «
OUIII, je suis tellement heureuse !! Et toi alors ? » Je hausse les épaules, même en sachant qu’elle ne peut pas voir ce geste. «
Mention assez bien et Descartes. C’est assez bien comme dirait madame ma mère ! » «
Haha, ouais, bon chou je dois te laisser mais on se reparle vite vite, il faut que je dise ça à mes grands parents ! » Les grands parents… Hors de question que je les appelle pour leur faire part de mes résultats médiocres. Les éviter sera difficile, entre skype, les mails et le téléphone. Heureusement qu’ils habitent à Toulouse. J’allume l’ordinateur et regarde sur internet comment m’inscrire dans ma fac.
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J’entre dans un hall grouillant d’élèves. Je suis seule. J’arrête un jeune homme au hasard. «
Excuse moi, l’amphi numéro quatre c’est où s’il te plait ? » Il recoiffe sa mèche d’un geste négligé et m’explique rapidement. «
Tu marches le long du couloir qui est en face de toi là, tu vas tomber sur un escalier, tu montes et l’amphi 4 est là » Je pousse un soupir de soulagement. «
Merci beaucoup, tu viens de me sauver la vie. C’est trop le bordel cette fac, c’est impressionnant. » Il rit. «
Oui, je sais, mais tu verras on s’y habitue. Si tu te perds ici, heureusement que tu n’as pas demandé Paris 1 ou Paris 10, tu serais morte sur place » «
Note bien que c’est pour ça que je suis ici ! » Je lui dis rapidement au revoir et fonce vers l’amphithéâtre numéro quatre en question où a lieu ma pré rentrée. Je m’assois seule, ayant réellement la flemme de faire des relations publiques, et sors mon ordinateur. Je m’apprête à rp en attendant le prof quand des personnes s’installent à côté de moi, à ma droite et à ma gauche. Je rencontre Matthieu, David, Lucie et Alexandre qui engagent immédiatement la conversation. Force est de constater qu’ils sont absolument adorables. Je m’en fais instantanément des amis. Est-ce qu’ils arriveront mieux que mes amis lycées à faire en sorte que je me sente entourée ? Perspective peu probable. Mais la vie reste plus agréable avec quelques amis, c’est évident.