Welcome to Paris

Tout d'abord, imaginons-nous la scène. Une jeune femme d'un vingtaine d'années, d'origine asiatique et mesurant dans les 1m55, se dirige, les écouteurs dans les oreilles et grelottante, jusqu'à la porte du café dans lequel je me trouve. Il est approximativement huit heures du matin et, assise à l'une des tables avec devant moi deux thés et quelques viennoiseries, je l'attends. Elle semble évidemment me reconnaître et s'assit en face de moi machinalement et dans un sourire, assez caractéristique d'ailleurs. Nous échangeons plusieurs paroles cordiales avant que je n'aille droit au but dans un « dis-moi tout». Je ne suis ni réellement une psychologue, ni même vraiment une confidente, mais c'est ainsi qu'elle commence son récit.

Avant même que l'être nommé Anna Molly Feng ne naisse, c'était comme si toute sa vie avait déjà été tracée.
En effet, ses parents, soucieux certainement du bonheur de leurs petite fille, avaient déjà tout prévu. Ses écoles, ses loisirs, ses passions... tout dans le moindre détail. Comme si tout pouvait être prévu d'avance. Et si il se trouvait que leurs prédictions ne tombaient pas justes, ils étaient au moins certains d'une chose : leurs fille ferait de grandes études. Pourquoi ? C'était la seule manière de sauvegarder le patrimoine familiale pardi ! Ils ne voulaient pas d'une ignare, ça allait de soit. C'était compréhensible, ils possédaient une histoire particulière. Tous deux avaient immigrés de la Chine (du temps des méchants coco!) très jeunes et faisaient déjà parti, à l'époque, des grands intellectuels... dont leurs pays ne voulaient plus. Lui devint conservateur et elle, professeur de lettres classiques à l'Université d'Oxford... Un patrimoine très lourd de sens pour cette enfant qui n'était même pas encore née.

Les souvenirs semblent lui arriver par brides et alors, elle me conte cette petite anecdote, pourtant lourde de conséquences (à se demander si en fin de compte, elle n'est pas chez le psy'!).
Avril 1997, pour la troisième fois, Molly fut lynchée par ses camarades de classes. La raison ? Toujours la même depuis des siècles : la différence. « Pourquoi est-ce que ses yeux sont différents ? » étaient les remarques les plus gentilles et pourtant, elles donnaient cette impression immédiate d'arriver dans la société comme une anomalie. Le pire était certainement les moqueries, et parfois les sévices, parce que la petite-fille gardait un accent prononcé... c'était amusant de voir une « chinoise » parler curieusement! C'est le genre de souvenirs qu'on efface très facilement de notre mémoire, comme un réflexe défensif.
Cet accent, bien que native d'Angleterre, lui venait de ses nombreuses années durant lesquels ses parents lui faisaient l'école à la maison dans leurs langue maternelle : le mandarin. Molly parla donc cette dernière bien avant de connaître et comprendre l'anglais. Une caractéristique qu'elle transformera en force par la suite.
Ce passage de son enfance resta un simple arrière-goût, les choses s'arrangeant pas la suite. Cependant, cela eu un impact malgré son aspect anecdotique. Dès lors, à la suite de sa primaire et du collège, la plus part de ses amis qu'elle garda de Londre furent essentiellement d'origine -de près ou de loin- asiatique. Une façon de vivre assez sectaire, je vous l'accorde. Or, elle avait l'impression de se trouver bien plus de points communs avec eux... Une manière de se protéger, dira-t-on. Néanmoins, rectification, ils n'étaient pas tous d'origine asiatique ! Son amoureux, qu'elle gardera longtemps par la suite, ne l'était pas. Il s'appelait Liam, était blond aux yeux bleus, féru d'épopées grecques et d'origine française. En somme, tout pour plaire à ses parents... à se demander si ce n'était pas eux qui les avaient poussés dans les bras l'un de l'autre. Tout commença alors qu'ils avaient douze ans et se trouvaient dans le même atelier de littérature... Une banale rencontre, à l'image du couple qu'ils formèrent durant sept ans. Ses parents devinrent très proches de ceux de Molly, ce qui eut une grande incidence dans l'adolescence de cette dernière. Bien entendu, nous n'irons pas jusqu'à dire qu'elle n'aimait pas ce Liam, au contraire. Elle le trouvait exceptionnel et en était certainement très amoureuse... mais, cela ressemblait tout bonnement à une machination une fois encore. Le résultat du conditionnement dont elle fut victime durant de nombreuses années, afin de rentrer à l'intérieur du moule dans lequel ses parents l'avait jetée. Les deux couples de beaux parents leurs annoncèrent d'ailleurs un beau matin, avant que les tourtereaux n'entrent en première année au lycée, que leurs projets tombaient à l'eau. En effet, ils avaient décidés pour eux qu'ils allaient étudier en France, à Paris et dans l'un des meilleurs lycée de la capitale. Bien sûr, toute personne sensée ne laisserait jamais leurs fille de quinze ans vivre seule dans un pays étranger. Ils ne semblaient pourtant pas fous... seulement un peu trop ambitieux. Selon eux, c'était le genre de voyages qu'il fallait faire jeune afin de s'ouvrir l'esprit et de gagner en autonomie... Évidemment, Molly était d'accord ! Certes, terrorisée, mais enthousiaste à la fois. Cette perspective impliquait d' habiter à seulement quelques mètres de son petit-ami, et très loin de ses parents, tout en aillant un compte en banque largement bien approvisionné... que de bonnes choses, non ? Or, elle n'avait bel et bien que quinze ans et fut propulsée dans le monde des adultes sans pouvoir s'y préparer. En un mois, tout était prêt, décidé.
Premier septembre 2006, un matin pour ne pas déroger à la règle, Molly arriva à l'aéroport Charle de Gaulle munie de ses deux valises aux motifs colorés... et s'assit simplement sur l'une d'elle devant le tableau d'affichage des vols, se posant la plus pertinente des questions :
« Et maintenant... Je fais quoi ? ».
Welcome to Paris Molly !

Tu trouveras ta voie.

Le visage de la jeune femme devant moi se fait plus embarrassé à partir de ce moment, comme si elle arrivait à un passage plus dérangeant...le but de toute évidence de ce long récit. Elle boit une longue gorgée de son thé avant de commencer à me raconter la suite de son histoire, le regard vers le bas.

Être loin de tout est une expérience que Molly put donc vivre. De celle-ci, elle put conclure que dans ce genre de situation, ce que l'ont fait en premier c'est se rapprocher de ce qui nous est le plus familier. Alors, durant ses trois années de lycée dans cette ville inconnue, elle s'accrocha de toutes ses forces à la seule chose qui lui restait : Liam. Elle ne fit aucune autres connaissances et s'isola totalement. C'était certainement la seule chose que l'on devait retenir de cette période de sa vie.
Les ennuies commencèrent par la suite. La fin du lycée arriva bien vite et, ayant toujours une année d'avance, elle se retrouva, âgée de seulement dix-sept ans, à devoir choisir ce qu'elle voulait faire de sa vie future. Elle n'en savait évidemment rien. Ce qui n'était pas le cas de ses parents. Fiers de la mention au baccalauréat de leurs fille et des portes qui s'ouvraient à elle, ils l'a poussèrent (si ce n'est pas l'obligèrent) à entrer dans une classe préparatoire au concours de l'école des Chartes. Beaucoup de mots pour seulement définir un seul : l'enfer. Ce chemin tout tracé était celui de l'excellence... et pas n'importe laquelle : l'excellence de l’Élite. Ils étaient trois cent, seulement vingts seraient pris. Elle devait réussir... elle devait à tous prix réussir, n'avait pas le choix. Or, ses notes chutèrent, le travail ne désemplit pas, et des personnes toujours meilleures qu'elle apparurent. Une suite d'échecs qui la conduisirent à prendre toujours plus de pilules pour tenir le rythme qu'elle s'était imposée. Puis ce fut la montée en puissance. Tout d'abord une dose pour la nuit, puis une autre pour l'examen... de sorte que lorsqu'elle en arriva à prendre de la meth, son corps ne teint pas plus. Elle s'évanouit en pleine cession d'examens et ce fut réellement le déclic (enfin ! me direz-vous).
Pourquoi est-ce qu'elle avait mit sa vie en danger déjà ? Ah oui... parce qu'il fallait qu'elle soit à la hauteur des attentes de ses parents. Toute sa vie, elle avait toujours dû être comme ils voulaient qu'elle soit mais, ce n'était pas ainsi qu'elle s'épanouissait. Elle décida de ne plus les laisser lui imposer quelque chose. Sans non plus totalement se rebeller et briser tous leurs espoirs, elle décida de ne pas passer le concours mais de plutôt intégrer l'Ecole du Louvres et étudier ce qu'elle avait réellement toujours aimé : l'Art.
Ce fut en réalité, le changement moindre de l'histoire. Sous ses apparences, elle reprit aussi et surtout goût à la vie. Elle s'ouvrit aux autres enfin et découvrit les réelles joies d'êtres étudiante dans une ville comme Paris. Liam ? Ah lui... et bien elle rompit. Après sept ans de relations durant lesquels il ne lui avait rien apporté, elle en conclut qu'ils avaient fait le tour de la question. Elle se remit à la photographie, son premier amour... Que de bonnes choses ? Non, pas seulement. Redécouvrir ce qu'était la liberté après n'avoir toujours connu que la restriction... ça voulait dire être une proie facile pour tous les excès. Alcools, drogues, sexe... et autres ? Elle se mit à toucher un peu à tout, comme une enfant en quête de nouvelles expériences. Elle voulait tout essayer, tout connaître... même les choses les plus extrêmes...Surtout les choses les plus extrêmes.

Son récit s'arrête-là... et la jeune femme me parait toujours gênée, finissant sa grande tasse de thé d'une traite. Je garde un visage relativement souriant et pose finalement ma mains, de manière à être rassurante, contre son bras. Je lui dis alors simplement : «Tu trouvera ta voie, Molly. »