Let’s welcome ANNIE LENNOX!

C’était le soir de son retour sur scène. Ma maman était une vedette. Elle avait pris deux ans pour se retirer du milieu musical et pouvoir vivre sa grossesse et son accouchement en paix, loin des caméras. Ce soir-là, du moins selon ce que m’a raconté mon père, il y avait des gens qui avaient des pancartes avec mon nom à moi dessus. Pas celui de ma mère, le mien. Ils félicitaient ma mère d’avoir eu un enfant aussi parfait. (a) Ouais, parce que même si elle tentait de me cacher, de ne pas me faire entrer dans le monde du show-business, il y avait quelques failles dans son plan. Après tout, elle m’amenait avec elle en tournée – mon père étant son agent, il voyageait aussi avec elle. Du coup, comme elle voulait me voir plus de six semaines par année, elle avait pris la décision de ne pas se séparer de son enfant. Non, ma mère, c’est la meilleure. Pendant ses répétitions, j’étais parfois dans mon siège, sur la scène, et elle chantait. Papa ne cessait de dire qu’elle chantait pour moi et maman disait, de son côté, qu’elle chantait pour les deux amours de sa vie.

in time you’ll find this life’s a painting and you’re the artist
so open your eyes it’s never too late to clear your canvas

Voyez, j’ai connu un début de vie pas comme les autres. J’ai voyagé surtout en Angleterre, parce que ma mère n’était pas prête à quitter le pays. Pourtant, à mes cinq ans, j’ai voyagé en France et en Amérique. Évidemment, je n’ai pas eu le parcours scolaire dit « normal ». On m’a fait l’école sur la route. Je n’ai jamais réellement eu d’amis dont j’étais proche. Seulement les quelques enfants qui venaient aussi en tournée, mais ils étaient si rares. Si vous saviez à quel point je rêvais de pouvoir jouer dans un parc avec les autres enfants de mon âge, d’aller à l’école, d’avoir un enseignant formé qui m’aurait appris quelque chose, et non pas le technicien de son qui m’assoit sur ses genoux et me montre comment fonctionne la console ou l’un des gardien de sécurité qui, bien qu’il paraisse effrayant aux premiers abords, est le type le plus chouette. Je me souviens, il s’appelait James. Il était un peu comme le garde du corps de ma mère. Il la surveillait et me surveillait aussi. Ce mec, c’était ma nounou, bien qu’il ait détesté ce titre quelques mois avant de s’y faire. Avec lui, j’ai appris à compter, quand est venu l’âge évidemment, et il ne cessait de me répéter : « Good boy! Good! » Et il me frottait le crâne. Et moi je riais. Bien que j’aie beaucoup voyagé, à mes dix ans j’avais mis le pied sur les cinq continents, ma vie n’en fut pas pour autant très palpitante. Je passais soit mes journées à l’hôtel, soit à la salle de spectacle. Je ne pouvais rien faire d’autre. De temps en temps, lorsque maman avait une journée de congé ou que l’on avait du temps de libre, elle m’amenait dans des fêtes foraines – si c’était le bon temps de l’année – sinon, j’ai pas mal eu l’Impression d’être un genre de boulet. Celui dont il faut toujours s’occuper et dont il faut prendre soin. Personne ne pouvait agir sans que l’on pense à moi et je dois avouer, lorsque je commençai à tout comprendre, vers l’âge de douze ans, j’ai eu une discussion avec ma mère.

« Maman, pourquoi tu ne m’as pas donné en adoption? »
« Pourquoi cette question Dexter? »
« Je le vois bien que tout le monde en a marre de s’occuper de moi. »
« Tu racontes n’importe quoi. Tu sais, James me dit souvent à quel point il est heureux que tu sois parmi nous. Il n’a pas d’enfants et il a toujours voulu en avoir. Il m’a même avoué que s’il pouvait, il t’adopterait. »
« Vraiment? »
« Si, je t’assure. »

Et là, j’ai quitté en vitesse la chaise sur laquelle j’étais assise et j’ai couru à toute vitesse vers James, lui faisant le plus gros des calîns.

you’re in a daze, your mind’s a blaze with your insecurities
you’re sick of where you are and where you’ve been
so you pick up a pen

Et vint l’adolescence. J’ai supplié ma mère de me laisser suivre un cursus scolaire normal. Après tout, mon père a légué sa tâche de manager à quelqu’un d’autre, lui aussi en avait un peu marre de ne pas avoir une vie stable. Alors nous nous sommes établis en Angleterre, enfin, nous avons retrouvés notre ancien logis. Parce qu’effectivement, bien que je sois né en France, je ne suis pas pour autant Français. Je ne dis pas que je n’aime pas ce magnifique pays, mais le charme anglais reste pour moi en tête de liste. Quelle joie ce fut pour moi de pouvoir vivre comme je l’avais toujours désiré. Je n’avais pas de retard sur mes camarades de classes, enfin presque pas, mais j’ai vite su les rattraper. Je me suis fait des tas d’amis, sans qu’ils ne soient pour autant amis à cause de la célébrité. Vous voyez ce que je veux dire? Je n’ai jamais crié sur tous les toits que ma mère était une célèbre chanteuse. Évidemment, je vécus toutes les étapes typiques d’une vie d’adolescent. Ma première histoire d’amour. Quinze ans. C’était avec une fille, je n’avais jamais vu une telle beauté. Chevelure brune, teint basané, yeux verts, je vous jure, elle était parfaite. J’en étais fol amoureux. Pour elle, j’aurais décroché la lune. Ça peut paraître idiot, mais c’était vrai. J’étais naïf à l’époque et l’amour n’avait pas encore ravagé mon être. Ça ne tarda pas. C’était exactement trois ans, deux mois et dix-neuf jours après que notre relation se soit officialisée. La nouvelle est tombée. Lymphome de Hodgkin stade 3. Puis rapidement, le cancer a évolué et a atteint le stade 4. Heureusement, la descente aux enfers fut de courte durée. En trois semaines, elle était décédée. J'avais vécu de beaux moments avec elle, des moments magiques et je me voyais déjà lui passer la bague au doigt. Après tout, j'avais maintenant dix-huit ans, presque dix-neuf.

C’est à ce moment que j’ai perdu toute foi en l’amour. J’ai parlé à mon père suite à l’enterrement de mon ex-petite amie et lui ai dit que je voulais suivre les traces de ma mère. Il m’a demandé ce que j’Entendais par là et je lui ai dit que je voulais voyager. Je n’en pouvais plus de l’Angleterre. À mes dix-neuf ans, je quittai donc mon pays vers une destination qui m’était inconnue. Mon sac à dos sur le dos, mes maigres économies en poche, je partis. En un an, j’avais voyagé en Amérique, j’avais l’Amérique au complet et j'avais même réussi à avoir quelques petits boulots histoire de ramasser de l'argent.

but my one wish for you is that you find yourself
don't settle for less or for anyone else
I pray that you dream like the dreamer I know you can be
Signed, Yours Truly

J’ai ensuite décidé d’explorer l’Europe. Connaissant déjà l’Angleterre, j’avais déjà un petit bout de chemin de fait. J’ai donc commencé par le sud pour remonter. Un an que j’ai passé à visiter l’Italie, l’Allemagne, le Portugal et compagnie, puis je me suis retrouvé en France. Paris. Coup de cœur. Parmi toutes les villes que j’avais visitées jusque-là, en voilà une qui me frappait. J’ai donc décidé de m’y posé. Et puis, si je veux avoir la chance d’obtenir un boulot stable, un jour, faut bien terminer les études. J’ai donc posé un pied à terre, j’ai un petit appartement miteux, pas cher et j’étudie à la Sorbonne. Je ne sais pas quand j’ai l’intention de repartir. Je dois avouer, je me plais bien ici. Y’a plusieurs trucs à faire. Voyez, j’autre jour, j’ai fait du bungee, j’ai aussi fait un saut en parachute, mais j’dois m’assagir un peu. Avec les études et tout, l’argent ne rentre plus aussi vite, mais ne croyez pas que je me suis assagis.

Oh et je garde encore contact avec mes parents. Je leurs écris de temps à autre. Ils vont bien. Ma mère a eu quelques soucis de santé, mais tout s’est arrangé, si l’on en croit la principale intéressée. Je ne crois cependant pas que je suis prêt à rentrer au bercail, à retourner vivre en Angleterre. Du moins, pas encore. Y'a trop de choses que je veux vivre ici pour rentrer chez moi. Et puis, je n'ai toujours pas perdu mon accent "british".
UC