La petite salle était pleine et des groupes passaient les uns après les autres avec plus ou moins d'entrain. Il n’y a pas si longtemps je caressais encore l’espoir qu’un jour, peut-être, avec mon groupe, on réussirait à remplir une salle comme celle-ci uniquement de personnes inconnues venant pour nous écouter, nous et notre talent. Il faut croire que justement, le problème était ce talent inexistant et c’est pourquoi j’ai dû vite abandonner l’idée de vivre un jour uniquement de musique. Mon père avait raison au fond, ce n’étais qu’un rêve de gamin qui refusais de faire des études plus sérieuses. Mais au moins j’avais tenté, ça n’avait pas marché certes, mais au moins pas de regrets. Un petit tour et puis s’en vont, ça résume assez bien ma pseudo-carrière musicale. Je n’avais pas tout abandonné et je continuais de composer de nouveaux morceaux, la seule différence était que je chantais maintenant plus sous ma douche que sur scène. Monde cruel. La musique était devenu un passe-temps, un passe-temps qui continuait de m’obséder, mais plus ce qui devait me faire gagner ma vie. Evidemment dire que l’on fait des études d’histoire de l’art donne tout de suite tout un air plus sérieux que de dire « Oui, moi j’essaye vainement de devenir une star. Et je m’accroche en plus » mais c’est aussi beaucoup moins drôle. Avec mon ancien groupe on s’était donné un an pour se consacrer uniquement à la musique. Et pendant un an on a vraiment fait que ça. On jouait dans des petites salles, on composait, on essayait de trouver des contrats à droite et à gauche, on était vraiment sur un petit nuage. Le retour à la réalité fut beaucoup plus brutal que ce que nous avions bien pu imaginer. Désillusion totale, back to real life, l’horreur ! Mais cette expérience ratée ne m’a en rien dégouté de la musique et j’aimais toujours autant monter sur scène, surtout que maintenant il n’y avait plus aucune pression, c’était juste histoire de s’amuser.

J'allais au bar commander bière pendant qu'une jeune fille rousse hurlait des paroles incompréhensibles dans son micro. Ses quatre amis musiciens essayaient vainement de relever le niveau en interprétant des mélodies plutôt bien jouées mais qui manquaient affreusement d'originalité. Enfin c'est beau de critiquer mais je ne valais sûrement pas mieux qu'eux sinon je ne serais pas ici aujourd'hui, un samedi soir dans un bar où j'avais joué il a quelques années à être un simple spectateur. Je sirotais donc ma bière et regardais la scène en rigolant intérieurement. Le groupe avait réussi à faire tomber un peu l'ambiance qui avait été jusque-là explosive. Les précédentes prestations avaient été vraiment très bonnes et celle-ci gâchait nettement l'atmosphère sympathique qui s'était installé dans le bar. Je décidais de me repartir devant la scène rejoindre les amis que j'avais abandonnés pour aller me chercher à boire. En me retournant, ma bière à la main, mon bras heurta celui d'une jeune fille qui passait au même moment derrière moi, je n'eus pas le temps de réagir et c'est donc bien trop tard que j'ai pu admirer l'ampleur des dégâts que m'avait coûté cette maladresse involontaire. Et le résultat était plutôt catastrophique : mon verre s'était entièrement déversé sur la jeune fille en question qui semblait être dans le même état de choc que moi. « Oh merde, je suis désolé, j'avais pas vu ! » dis-je en reprenant mes esprits et en me retournant vers le bar à la recherche de quelques serviettes. En la regardant avec de plus de précision je m'aperçu qu'il s'agissait de la jeune fille qui était sur scène avant le groupe catastrophique. Elle n'aurait jamais dû leur laisser sa place! Ça ne pouvait arriver qu'à moi ce genre de choses, renverser un verre sur une jolie fille, bravo Lucas, bien joué. Une jolie fille musicienne, que demander de plus ? Ah oui qu'elle ne réagisse pas trop violemment car je venais sûrement de renverser toute ma bière sur un de ses T-shirt préféré...