Montsouris. Et dire que Sixten - ou Tiny, comme se plaisait à l'appeler Sylvester - avait passé deux ans à maudire ce foutu hôpital, alors qu'il devait y venir pour des traitements sans fin qui n'avaient jamais d'effet sur ce foutu cancer qui l'avait ravagé. Maintenant, il pouvait enfin passer devant le bâtiment sans avoir à y pénétrer : il y a maintenant trois mois le jeune marseillais a subi une intervention, une lobectomie pulmonaire pour cancer à thorax fermé, que son médecin lui avait assuré être une opération sans risque et dont il se remettrait très bien. Ce qui s'était avéré vrai au final. Même si les oncologues ne le lâchaient pas et insistaient pour qu'il passe régulièrement ça n'avait pas empêché Sixten de reprendre une vie normale et même ses études. Il avait pu se consacrer à la psychologie ; lui qui avait toujours malgré lui analysé le comportement des personnes qui l'entouraient, leurs récits, leurs choix, pourrait enfin le faire dans le but de les aider. Sans compter sur la complexité humaine qui à ses yeux était toute à fait passionnante ! Depuis qu'il était gosse il savait que c'était ce qu'il voulait faire de sa vie. Du moins c'était ça ou cosmonaute. Mais les combinaisons qui font ressembler à Bibendum, pas trop son truc. Alors il s'était tourné vers la psychologie. Et son cancer avait détruit tout ses rêves. Adieu études brillantes et vie insouciante, il était malade, et les médecins ne lui donnaient que quelques mois à vivre. Ce qui pour un gosse de 16 ans était atroce à vivre. Surtout que ses parents, ne supportant pas de le savoir malade, l'ont déposé à l'hôpital lors de son premier jour de traitement ... et ne sont jamais venus le chercher ! Pas le courage d'assumer un fils malade. Cet abandon l'a tellement bouleversé que Sixten, le cœur brisé, a fait en sorte que son grand frère - son modèle, son héros, son meilleur ami, son bonheur, sa fierté - quitte sa vie lui aussi. Lui qui avait pensé à se suicider à grands renforts de médicaments préférait que son aîné le haïsse : sa mort serait moins difficile à encaisser pour lui ensuite. Manque de bol, il a survécu. Comme il a survécu à son cancer. Pourtant il aurait juré qu'il n'y survivrait pas, à cette saloperie. Qu'il ne reverrait jamais la lumière du jour. Que jamais il ne vivrait ses rêves. Qu'il n'aurait même pas de vie tout court. Alors quelle ne fut pas sa surprise quand le médecin lui annonça, tout sourire, que l'opération avait été un succès et qu'il pouvait reprendre une vie normale. Comme si rien ne s'était passé. Sauf qu'une chose avait changé maintenant : il était seul. Mais ça, ça ne serait plus vrai bien longtemps.