Il était une fois, un homme d'affaires, un français, en voyage au Danemark, et une institutrice venant, elle, des Pays-Bas, menée au pays natal de la Petite Sirène d'Andersen par une soif inétanchable de découverte des merveilles du monde. L'un: professionnel aigri, respirant sérieux et intransigeance; l'autre: candide, animée de pureté. Aussi différents que complémentaires, inévitablement ils se rencontrèrent, se marièrent, vécurent heureux et eurent une fille. Aurora, pour la douceur. Nastasia, pour la force. Une gamine aux yeux émeraude et chevelure velours, faisant le bonheur de ceux lui ayant donné la vie.

Surnommée Rory depuis son tout premier jour sur la planète Terre, la fillette vécut ses jeunes années au rythme des excentricités de ses parents. L'éducation ? Tantôt stricte et classique, comme le voulait Père; tantôt en dehors de toute norme sociale, selon les souhaits de Mère. Un parcours ? Sans surprise, tout tracé dans les plannings du premier; bohème et sans contrainte, dans les rêves de la seconde.

Ainsi, Aurora grandit-elle travailleuse, sérieuse, tout autant que fantasque et rêveuse. De plus, à observer Madame et Monsieur débattre quotidiennement sur ce qui était le mieux pour elle - leurs avis à l'opposé les uns des autres - lui fit acquérir cette faculté de cogiter plus que de raison, d'envisager toutes les possibilités qu'importe la situation, la dotant d'un esprit analytique hors norme, mais également d'une légère obsession du détail. Tout ce qui l'entourait était source d'information, tout racontait une histoire, et passer à côté était devenu impossible, se transformant en un toc malsain que, pourtant, la jeune fille ne pouvait se résoudre à considérer comme tel. Non, plutôt un talent rare, insoupçonnable, la rendant spéciale, invincible. Car elle était la seule à pouvoir lire dans les pensées de quelqu'un rien qu'au clignement de ses yeux; la seule à connaître le nombre de lettres dans un mot sans avoir à les compter (faute d'expérience, et aussi inutile puisse être ce "talent"...); la seule à avoir su que les jours du mariage heureux de ses parents étaient comptés dès l'instant où leurs chamailleries chaleureuses laissèrent place à quelques formules de politesse prononcées du bout des lèvres.

À 6 ans, donc, elle suivit sa mère en Hollande, son père, lui, repartant pour Paris. De Copenhague à Rotterdam, le changement de décor était rude. Nouveau pays, nouvelle langue - qu'elle maîtrisait, pourtant, parfaitement -, nouvelles habitudes. Et pourtant, les yeux grand ouverts et illuminés de curiosité, la fillette prit cette expérience d'une façon que sa mère lui avait apprise, à savoir: comme une leçon de vie, un cadeau dont elle avait été une des rares à pouvoir profiter. Ce qu'Aurora fit... l'appréciant jusqu'au jour où elle dut partir s'installer chez ce grand homme - présenté comme son "beau-père", qu'elle ne trouvait pourtant pas bien beau - suivant les remous de coeur de sa génitrice.

Le géant se révéla, toutefois, plus attachant que ce qu'elle aurait cru. Et son fils - garçonnet âgé d'un an de plus que Rory, mais de toute évidence aussi intimidé que pouvait l'être un humain par les nouvelles venues -, se tenant derrière les jambes de son père en leur lançant des coups d'oeil aussi effrayés que curieux, devint rapidement un frère, un confident, le plus fidèle des amis de la fillette, leurs liens ne faisant que se renforcer au fil des années qu'ils passèrent ensuite ensemble.

Des années en rien perturbées, entre études dans un lycée privé, quelque amis fidèles, d'autres moins et, en somme, une vie d'ado' classique, voire cliché. Premiers amours, premiers projets, dont celui de voir le monde, comme sa mère, en commençant par partir étudier là où habitait son "vrai" père. Paris, cette ville qui fait rêver...

* * *

Âge: 19. Vol: Rotterdam-Paris. Attente: quelques heures à peine, et elle marchait enfin sur ce sol qui lui était natal par hérédité. Tour Eiffel, Mont Martre, Folies Bergère et autres endroits magiques, relatés dans ces romans de la Belle Epoque qu'elle se plaisait à relire de maintes fois, s'imaginant dans la peau de quelque héroïne chimérique, s'imprégnant de ses extraordinaires aventures dans le pays de Hugo, Molière et nombre de grands hommes au talent inégalable...

Tant d'illusions laissant, pourtant, place à tout autant de déceptions. La ville de l'amour était, en fait, celle des mille et un pigeons et, Aurora avait beau tendre l'oreille, les sons mélodieux et romantiques d'un accordéon ne se faisaient guère entendre, sûrement recouverts par les incessants "Vazy t tro charmente !!!".

Déceptions, certes, mais trop peu pour décourager celle qui choisit de s'y montrer hermétique, la magie de la capitale française ayant déjà opéré et ses revers de médaille devenant une question d'habitude.

Peaufinant son français aux côtés de Papa, quelques années passèrent. Suivis de faculté, travail, appartement et un sens de débrouillardise faisant doucement, mais sûrement, surface, ainsi qu'une vie à 200/h aux milieu de ces français qui étaient, et le sont toujours toujours, pour elle des extraterrestres. "Vous me voyez obligé de me permettre d'avoir la liberté de vous demander de bien vouloir..." - "... ? =.=".